Livre: mieux comprendre "nos voisins musulmans"
15 avril 2004
Autrefois civilisation brillante, la partie du monde musulman qui court du Maroc à l’Iran vit aujourd’hui refermée sur elle-même, tiraillée entre le repli prôné par l’islamisme politique et l’ouverture sur la modernité occidentale
Yves Montenay propose un éclairant parcours historique pour mieux comprendre l’origine des incompréhensions entre l’Occident et cet islam à la fois si proche et si lointain. « L’histoire structure notre vision du monde ». Pour Yves Montenay, auteur de Nos Voisins les musulmans, la revisiter permettra peut-être de dépasser en partie les incompréhensions qui ont marqué les rapports entre l’Occident et l’islam. Docteur en géographie humaine, l’auteur connaît bien cette partie du monde située entre le Maroc et l’Iran ,pour y avoir travaillé non seulement en tant qu’enseignant dans de hautes écoles, mais aussi comme expert industriel pour des entreprises. Dans cet essai concis, il ne parle pas de l’islam sous l’angle de la foi, mais d’hommes et de femmes musulmans vivant dans des régions proches des nôtres.
« Quatorze siècles de méfiance réciproque ». Le sous-titre de son étude est explicite : des deux côtés, pour toutes sortes de raisons, se sont forgés des images et des préjugés lourds de conflits potentiels. Yves Montenay tente d’expliquer la complexité des attitudes et des rapports à la foi que recèle le monde musulman, ave un constant va-et-vient entre une volonté d’ouverture et une tentation de fermeture. « Pour les musulmans, la notion de fermeture est ambivalente. Pour les uns, c’est une prison imposée par l’extérieur ou vécue de l’intérieur comme un accroissement du poids du religieux. Pour les autres, c’est un cocon nécessaire pour se mettre à l’abri de ce que les Occidentaux appellent la modernité ». Aux yeux de ces derniers, toute « fenêtre sur l’extérieur » constitue « une agression insupportable de la part d’étrangers par ailleurs méprisables ». De la victimisation à l’islamismeLa première partie du livre, « l’histoire mythifiée », rappelle brièvement la genèse de cette religion. Dès les origines se pose la question de l’articulation entre innovation et tradition pour une société fondant son existence sur la « sunna », la communauté des croyants : « Le consensus de la sunna ne résout pas les problèmes nouveaux, à priori suspects, puisque non prévus par la tradition. D’où le double sens du terme ‘bid’a’, à la fois innovation et hérésie ». Pour Yves Montenay, c’est donc par sa structure même que le monde musulman est tiraillé entre ouverture et fermeture. Les premiers siècles, âge d’or d’un Moyen-Age triomphant, de Byzance, Damas, puis de Bagdad et surtout de l’Andalousie, sont vus comme autant d’épisode glorieux. Les siècles qui suivent sont ceux de la fermeture et de l’humiliation d’une civilisation vaincue jusque dans son espace avec la domination des Turcs ottomans. C’est une période de refus de la réalité : Histoire rejetée et statut revendiqué de victime vont contribuer à creuser le retard économique et scientifique de cette partie du monde.
Un troisième volet aborde la situation contemporaine de l’islam en montrant les conséquences de ces relectures de l’histoire. Dans les pays musulmans, nommés le « Dar el Islam » (maison de l’islam), « la composante principale du problème est le retour de l’islam en politique, sous le terme très général d’islamisme ». Parmi les principaux problèmes posés par cette situation, l’auteur s’arrête sur le statut des femmes, qui prive ces sociétés d’une partie importante de leurs forcs vives, et sur les enjeux de la scolarisation.
Au sein du « Dar al harb », (maison de la guerre), l’enjeu est celui de ces « musulmans mondialisés », de plus en plus nombreux en Occident, pour lesquels l'islam constitue « une identité autant qu’une religion ». Yves Montenay s’appuie ici sur la lecture éclairante d’Olivier Roy. Sa perception de l’avenir proche s’avère assez pessimiste, la seule raison d’espérer se situant, selon lui, dans la capacité de l’islam à retrouver sa faculté d’ouverture. D’ici là, pour ne pas empirer l’incompréhension réciproque, nos sociétés devront faire face à une double exigence: « Ne pas amalgamer les conduites hostiles avec la pratique traditionnelle et pacifique du culte musulman ( ce qui est précisément ce que souhaitent les islamistes pour ramener la masse des croyants dans leur camp) ; et soutenir les musulmans modernes qui vivent à nos côtés, en évitant de les rejeter vers "des groupes hostiles ». UTILE
Yves Montenay, « Nos Voisins musulmans », Les Belles Lettres, avril 2004
« Quatorze siècles de méfiance réciproque ». Le sous-titre de son étude est explicite : des deux côtés, pour toutes sortes de raisons, se sont forgés des images et des préjugés lourds de conflits potentiels. Yves Montenay tente d’expliquer la complexité des attitudes et des rapports à la foi que recèle le monde musulman, ave un constant va-et-vient entre une volonté d’ouverture et une tentation de fermeture. « Pour les musulmans, la notion de fermeture est ambivalente. Pour les uns, c’est une prison imposée par l’extérieur ou vécue de l’intérieur comme un accroissement du poids du religieux. Pour les autres, c’est un cocon nécessaire pour se mettre à l’abri de ce que les Occidentaux appellent la modernité ». Aux yeux de ces derniers, toute « fenêtre sur l’extérieur » constitue « une agression insupportable de la part d’étrangers par ailleurs méprisables ». De la victimisation à l’islamismeLa première partie du livre, « l’histoire mythifiée », rappelle brièvement la genèse de cette religion. Dès les origines se pose la question de l’articulation entre innovation et tradition pour une société fondant son existence sur la « sunna », la communauté des croyants : « Le consensus de la sunna ne résout pas les problèmes nouveaux, à priori suspects, puisque non prévus par la tradition. D’où le double sens du terme ‘bid’a’, à la fois innovation et hérésie ». Pour Yves Montenay, c’est donc par sa structure même que le monde musulman est tiraillé entre ouverture et fermeture. Les premiers siècles, âge d’or d’un Moyen-Age triomphant, de Byzance, Damas, puis de Bagdad et surtout de l’Andalousie, sont vus comme autant d’épisode glorieux. Les siècles qui suivent sont ceux de la fermeture et de l’humiliation d’une civilisation vaincue jusque dans son espace avec la domination des Turcs ottomans. C’est une période de refus de la réalité : Histoire rejetée et statut revendiqué de victime vont contribuer à creuser le retard économique et scientifique de cette partie du monde.
Un troisième volet aborde la situation contemporaine de l’islam en montrant les conséquences de ces relectures de l’histoire. Dans les pays musulmans, nommés le « Dar el Islam » (maison de l’islam), « la composante principale du problème est le retour de l’islam en politique, sous le terme très général d’islamisme ». Parmi les principaux problèmes posés par cette situation, l’auteur s’arrête sur le statut des femmes, qui prive ces sociétés d’une partie importante de leurs forcs vives, et sur les enjeux de la scolarisation.
Au sein du « Dar al harb », (maison de la guerre), l’enjeu est celui de ces « musulmans mondialisés », de plus en plus nombreux en Occident, pour lesquels l'islam constitue « une identité autant qu’une religion ». Yves Montenay s’appuie ici sur la lecture éclairante d’Olivier Roy. Sa perception de l’avenir proche s’avère assez pessimiste, la seule raison d’espérer se situant, selon lui, dans la capacité de l’islam à retrouver sa faculté d’ouverture. D’ici là, pour ne pas empirer l’incompréhension réciproque, nos sociétés devront faire face à une double exigence: « Ne pas amalgamer les conduites hostiles avec la pratique traditionnelle et pacifique du culte musulman ( ce qui est précisément ce que souhaitent les islamistes pour ramener la masse des croyants dans leur camp) ; et soutenir les musulmans modernes qui vivent à nos côtés, en évitant de les rejeter vers "des groupes hostiles ». UTILE
Yves Montenay, « Nos Voisins musulmans », Les Belles Lettres, avril 2004