L'analphabétisme biblique aggrave la déchristianisation des jeunes
On constate depuis dix ans une aggravation alarmante de l’analphabétisme biblique. L’effritement de la culture biblique frappe aussi bien les catholiques que les protestants. Ces derniers ont un peu mieux résisté à cette déculturation parce que leur attachement à la Bible est « génétique » et constitutif de leur identité. L’attachement à sa foi et à son Eglise est nourri par son rapport à la Parole. Le rapport du catholique à sa foi est nourri par son attachement au rite et à une communauté. En fait, l’analphabétisme biblique auquel on assiste a des conséquences plus graves du côté réformé parce qu’il touche le protestantisme au cœur. La lecture biblique en péril, c’est toute l’identité protestante qui est touchée.
A quoi attribuer cette aggravation actuelle de la déculturation ?Aujourd’hui, les références bibliques sont devenues obscures. Des jeunes appartenant à des familles dont la bible est absente, ne reçoivent plus aucune culture religieuse. Dans les années 1970, si les parents s’étaient affranchis des conventions et distancés de l’Eglise, ils estimaient toutefois important que leurs enfants soient au bénéfice d’une culture chrétienne pour qu’en temps voulu, ces derniers puissent choisir en toute connaissance de cause de croire ou non. On assiste à une grande coupure culturelle. La jeunesse est très largement déchristianisée, faute d’enseignement religieux quel qu’il soit. On le constate notamment parmi les étudiants en histoire de l’art. Nombreux ceux qui ignorent à quelles scènes bibliques se réfèrent des œuvres de peintres ou de sculpteurs qu’ils ont sous les yeux. Elles ne leur parlent pas, ils en ignorent l’origine et la signification. Quand certains jeunes entreprennent une démarche de foi, ils le font sans aucune base de culture chrétienne. Ils partent de zéro. On les appelle les « recommençants ». Ils ont été baptisés, sans plus.
Comment remonter le courant ?Un effort admirable de traduction et de diffusion a été entrepris dans le protestantisme, notamment avec la révision de la Bible Segond. A mon avis, la découverte de la Bible ne peut être réduite à une approche livresque et conduite en solitaire. Seul face au texte, on tourne en rond dans ses propres représentations et une lecture convenue. La Parole se découvre mieux à l’intérieur d’un groupe de lecture pour saisir l’écho qu’elle a dans la vie aujourd’hui, pour la comprendre et se l’approprier. D’autres personnes peuvent m’aider à prendre conscience de ce que le texte peut éveiller dans ma vie. Il faudrait aussi redonner à la Bible sa véritable place dans le culte. Je suis parfois indigné de voir à quel point la prédication est peu biblique aujourd’hui. N’attend-on pas des pasteurs, les principaux « agents de communication de la Bible », qu’ils interprètent la Parole ? L’effondrement de la qualité biblique de la prédication participe de ce déficit de la lecture de l’Ecriture.
La Bible est-elle démodée ?Il est faux de prétendre que les gens sont fatigués de la Bible, ils le sont de la langue de bois, de ce patois de Canaan qu’on leur a trop souvent servi, d’un ronron qui ne leur parle pas. Qu’on fasse apparaître la manière dont la Bible est porteuse de sens pour l’homme d’aujourd’hui pour qu’on s’y intéresse à nouveau. Il suffit qu’un Alain Decaux, qu’une Marie Balmary, qu’une Lytta Basset ou que Gérard Jérôme Mordillat et Jérôme Alain Prieur abordent à leur façon les Ecritures pour que les gens se passionnent. Ce n’est pas la Bible qui est démodée mais le discours sur elle ! On assiste aujourd’hui à un paradoxe : l’Evangile est moins lu par les croyants mais nous est restituée par des gens agnostiques qui ont réalisé l’extraordinaire trésor qu’elle constitue pour comprendre notre culture. Voyez le dernier ouvrage de Michel Serres, « Rameaux ». Le philosophe, non croyant, nous dit le caractère fondamental de Paul avec des mots bien plus forts que certains commentaires pieux !