Le Centre islamique de Lausanne sous le feu des critiques
4 novembre 2004
Après l’agression contre son responsable religieux, le Centre islamique de Lausanne (CIL) s’est retranché dans un discours alarmiste, se présentant plus que jamais comme le seul représentant d’un islam démocratique
Alors qu’un pasteur, spécialiste du dialogue interreligieux, dénonce cette affirmation, l’imam blessé s’apprête à être remercié par le Service pénitentiaire cantonal. L’imam du Centre islamique de Lausanne (CIL) ne sera plus celui de Bois-Mermet. Olivier Durgnat, chef du Service pénitentiaire vaudois : « A la fin de l’année, Mouwafac el-Rifai sera remplacé dans la prison lausannoise par une personne plus modérée et davantage ouverte au dialogue interconfessionnel ».
L’attaque dont a été victime l’imam le 8 octobre dernier n’a naturellement rien à voir avec cette décision. « Je m’apprêtais à l’en avertir lorsque cette agression s’est produite », explique encore Olivier Durgnat. Ce choix fait en réalité suite à une demande des aumôniers réformés et catholiques oeuvrant dans le canton, qui peinent à collaborer avec l’imam du CIL. « Sur le plan religieux, l'imam se montre intransigeant, ce qui rend le dialogue difficile », reconnaît François Paccaud, aumônier depuis quatre ans et demi au sein des établissements de préventive. Ainsi, par exemple, Mouwafac el-Rifai serait opposé à fournir un Coran rédigé dans une autre langue que l’arabe, alors que beaucoup de détenus musulmans ne parlent pas cette langue. De même, François Paccaud se souvient de négociations « difficiles » lors de l’aménagement d’un lieu de culte commun à Bois-Mermet.
Enfin, selon un détenu chrétien maronite qui a eu affaire à El Rifaï, « son discours est assez carré, notamment en encourageant des musulmans qui se sont distancés de leur religion, à revenir à une pratique intensive ».
Autre problème évoqué : si la plupart des prisons permettent à ceux qui le souhaitent de respecter le ramadan en différant le repas de midi, elles ne peuvent en revanche permettre à chacun de se laver avant la collation du soir. « Si l’on exige le strict respect de tous les rites, cela provoque rapidement des tensions ». A la place d’El Rifai, les aumôniers et la Maison du dialogue de l’Arzilier ont donc proposé la candidature de deux musulmans travaillant déjà bénévolement aux établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe. « C’était également le souhait de la directrice de Bois-Mermet », signale Olivier Durgnat. Partenaire officielEtonnant lorsque l’on sait que le CIL est depuis longtemps le partenaire privilégié des autorités vaudoises, qui reconnaissent par ailleurs leur méconnaissance du milieu musulman. L'imam a toujours été considéré comme « indispensable au dialogue communautaire », comme l’a rappelé le député Francis Thévoz lors du traditionnel repas de rupture du ramadan organisé par le CIL.
En dénonçant les dangers de l’extrémisme, en prônant un engagement citoyen et un respect des lois locales, ouvert à tous les musulmans comme à ceux qui désirent connaître l’islam, indépendant de tout gouvernement, sans considération ethnique, le CIL a effectivement toutes les apparences de la modération et de la volonté d’intégration. De plus, il est la plus ancienne communauté musulmane de Lausanne (25 ans), et la préférée des Suisses convertis. Personne ne fut donc surpris de voir ces responsables endosser l’habit du dernier des justes au lendemain de la tentative d’assassinat de son responsable religieux. Comme si, en dehors des locaux de l'avenue de la Gare, tout n’était qu’islamisation radicale et appel à la violence au nom d’un Coran « dévoyé ».
Largement médiatisé, ce positionnement a fait sortir le pasteur Martin Burkhard de ses gonds. Engagé depuis de nombreuses années dans le dialogue interreligieux, fin connaisseur de l’islam, le ministre a tenu à livrer son éclairage dans une lettre à l’ensemble de ses collègues de l’Eglise réformée vaudoise (EERV). Certes, reconnaît Martin Burkhard, l’appartenance du CIL au mouvement mystique Abhash (en référence à son fondateur, le savant éthiopien Abdullah al-Harrary, auprès duquel s’est formé l’imam el-Rifai) explique une opposition farouche contre le fondamentalisme et une « loyauté exemplaire envers le régime en place ». Mais ce refus d’un islam politique cache un « courant très rigoriste » et « le discours de l'imam, qualifié de modéré, ne l’est pas forcément, car en matière de doctrine et de morale, les Ahbash sont particulièrement intransigeants, qualifiant les autres centres islamiques de wahhabites, donc potentiellement dangereux ». Rester à l’écoute de tousAinsi, précise Martin Burkhard, qui compare volontiers l’isolationnisme du CIL à celui que pratiquent les darbystes du côté chrétien, cette volonté de se poser comme seuls détenteurs de la vérité ne favorise pas la paix sociale et stigmatise les tensions au sein de la communauté musulmane : « Lorsqu’un centre veut s’établir, le CIL oeuvre pour l’interdire, intervenant auprès des pouvoirs publics pour accuser les nouveaux venus d’islamisme. Les prêches de l’imam agressé sont souvent des attaques contre les autres communautés, et plus généralement contre toute tendance autre que la sienne". Le pasteur vaudois épingle par exemple les propos de l’imam après la lettre commune des associations musulmanes vaudoises pour dénoncer l’acte criminel. El Rifai a en effet déclaré dans 24 heures que les signataires ne lui avaient pas adressé de soutien direct et qu’il ne connaissait pas beaucoup de ces associations, représentant seulement des cases postales. « Non seulement les responsables de tous ces centres lui ont rendu visite dès le samedi, mais moi je connais ces gens, et je peux affirmer que ce sont des gens dévoués », explique Martin Burkhard qui regrette que le Centre islamique de Lausanne tente « d’exploiter la situation pour répandre sa thèse favorite d’un complot qui n’existe pas ».
De manière générale, souligne Martin Burkhard, il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur le CIL, mais de ne pas écouter une seule voix au sein de la complexe galaxie musulmane présente dans le canton ou en Suisse romande. Surtout si celle-ci s’avère discordante.
L’attaque dont a été victime l’imam le 8 octobre dernier n’a naturellement rien à voir avec cette décision. « Je m’apprêtais à l’en avertir lorsque cette agression s’est produite », explique encore Olivier Durgnat. Ce choix fait en réalité suite à une demande des aumôniers réformés et catholiques oeuvrant dans le canton, qui peinent à collaborer avec l’imam du CIL. « Sur le plan religieux, l'imam se montre intransigeant, ce qui rend le dialogue difficile », reconnaît François Paccaud, aumônier depuis quatre ans et demi au sein des établissements de préventive. Ainsi, par exemple, Mouwafac el-Rifai serait opposé à fournir un Coran rédigé dans une autre langue que l’arabe, alors que beaucoup de détenus musulmans ne parlent pas cette langue. De même, François Paccaud se souvient de négociations « difficiles » lors de l’aménagement d’un lieu de culte commun à Bois-Mermet.
Enfin, selon un détenu chrétien maronite qui a eu affaire à El Rifaï, « son discours est assez carré, notamment en encourageant des musulmans qui se sont distancés de leur religion, à revenir à une pratique intensive ».
Autre problème évoqué : si la plupart des prisons permettent à ceux qui le souhaitent de respecter le ramadan en différant le repas de midi, elles ne peuvent en revanche permettre à chacun de se laver avant la collation du soir. « Si l’on exige le strict respect de tous les rites, cela provoque rapidement des tensions ». A la place d’El Rifai, les aumôniers et la Maison du dialogue de l’Arzilier ont donc proposé la candidature de deux musulmans travaillant déjà bénévolement aux établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe. « C’était également le souhait de la directrice de Bois-Mermet », signale Olivier Durgnat. Partenaire officielEtonnant lorsque l’on sait que le CIL est depuis longtemps le partenaire privilégié des autorités vaudoises, qui reconnaissent par ailleurs leur méconnaissance du milieu musulman. L'imam a toujours été considéré comme « indispensable au dialogue communautaire », comme l’a rappelé le député Francis Thévoz lors du traditionnel repas de rupture du ramadan organisé par le CIL.
En dénonçant les dangers de l’extrémisme, en prônant un engagement citoyen et un respect des lois locales, ouvert à tous les musulmans comme à ceux qui désirent connaître l’islam, indépendant de tout gouvernement, sans considération ethnique, le CIL a effectivement toutes les apparences de la modération et de la volonté d’intégration. De plus, il est la plus ancienne communauté musulmane de Lausanne (25 ans), et la préférée des Suisses convertis. Personne ne fut donc surpris de voir ces responsables endosser l’habit du dernier des justes au lendemain de la tentative d’assassinat de son responsable religieux. Comme si, en dehors des locaux de l'avenue de la Gare, tout n’était qu’islamisation radicale et appel à la violence au nom d’un Coran « dévoyé ».
Largement médiatisé, ce positionnement a fait sortir le pasteur Martin Burkhard de ses gonds. Engagé depuis de nombreuses années dans le dialogue interreligieux, fin connaisseur de l’islam, le ministre a tenu à livrer son éclairage dans une lettre à l’ensemble de ses collègues de l’Eglise réformée vaudoise (EERV). Certes, reconnaît Martin Burkhard, l’appartenance du CIL au mouvement mystique Abhash (en référence à son fondateur, le savant éthiopien Abdullah al-Harrary, auprès duquel s’est formé l’imam el-Rifai) explique une opposition farouche contre le fondamentalisme et une « loyauté exemplaire envers le régime en place ». Mais ce refus d’un islam politique cache un « courant très rigoriste » et « le discours de l'imam, qualifié de modéré, ne l’est pas forcément, car en matière de doctrine et de morale, les Ahbash sont particulièrement intransigeants, qualifiant les autres centres islamiques de wahhabites, donc potentiellement dangereux ». Rester à l’écoute de tousAinsi, précise Martin Burkhard, qui compare volontiers l’isolationnisme du CIL à celui que pratiquent les darbystes du côté chrétien, cette volonté de se poser comme seuls détenteurs de la vérité ne favorise pas la paix sociale et stigmatise les tensions au sein de la communauté musulmane : « Lorsqu’un centre veut s’établir, le CIL oeuvre pour l’interdire, intervenant auprès des pouvoirs publics pour accuser les nouveaux venus d’islamisme. Les prêches de l’imam agressé sont souvent des attaques contre les autres communautés, et plus généralement contre toute tendance autre que la sienne". Le pasteur vaudois épingle par exemple les propos de l’imam après la lettre commune des associations musulmanes vaudoises pour dénoncer l’acte criminel. El Rifai a en effet déclaré dans 24 heures que les signataires ne lui avaient pas adressé de soutien direct et qu’il ne connaissait pas beaucoup de ces associations, représentant seulement des cases postales. « Non seulement les responsables de tous ces centres lui ont rendu visite dès le samedi, mais moi je connais ces gens, et je peux affirmer que ce sont des gens dévoués », explique Martin Burkhard qui regrette que le Centre islamique de Lausanne tente « d’exploiter la situation pour répandre sa thèse favorite d’un complot qui n’existe pas ».
De manière générale, souligne Martin Burkhard, il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur le CIL, mais de ne pas écouter une seule voix au sein de la complexe galaxie musulmane présente dans le canton ou en Suisse romande. Surtout si celle-ci s’avère discordante.