Jacqueline Kelen met en garde contre la société de consommation
10 février 2005
Dans un essai à contre-courant, rempli de héros et de contes, Jacqueline Kelen combat la tyrannie du bonheur et de l’idéologie consumériste
Elle convoque les grandes figures mythiques pour une réhabilitation du risque et de la fragilité au nom de la dimension spirituelle de l’homme. « Plus un être découvre sa dimension spirituelle, plus sa sensibilité s’accroît et s’affine. Sa vulnérabilité atteste de la délicatesse de son âme ». Le ton est donné. Fidèle à son habitude, la très prolifique Jacqueline Kelen nous interpelle et secoue nos habitudes avec son dernier ouvrage, « Divine Blessure ». Dénonçant cette obsession de soi et d’un bonheur quiet qui caractérisent notre époque, la spécialiste des mythes convoque héros et saints pour nous rappeler ce qui fut longtemps une évidence dans la mystique comme dans la philosophie : ce ne sont pas la facilité et la recherche de l’infaillibilité qui amènent l’homme à la plénitude de son être, mais bien les blessures et les épreuves. « La société que l’on a appelée de consommation est dangereuse pour l’âme, pour la liberté, parce qu’elle nie ou étouffe le désir, l’espérance, parce qu’elle a réponse à tout, remèdie à tout, parce que l’idée du manque la terrifie. C’est pourquoi elle refuse la fragilité, la vieillesse, le nomadisme et la précarité, l’inquiétude, le trouble et l’insomnie, c’est pourquoi les citoyens veulent du bonheur, de l’argent, de la sécurité ».
Pour Jacqueline Kelen, le XXe siècle a franchi un pas supplémentaire en direction de « l’infra-humanité" : désormais on affirme (...) que seuls les biens désirables sont matériels et qu’ils sont même des besoins. Plus aucune place n’est laissée à la soif, à l’attente, à la quête : il faut manger tout de suite, combler le manque et les vides, profiter de la vie ». C’est le commandement d’un nouveau genre : « Aime-toi », exigence narcissique qui remplace le « connais-toi toi-même » et « l’exigence philosophique qui, à l’égale de la démarche spirituelle, consiste à se quitter afin de s’élever à de plus vastes réalités. (...) De la connaissance de soi qui affranchit les entraves temporelles et individuelles, on est tombé dans l’amour de soi qui est enfermement, indifférence à l’autre ou utilisation d’autrui ».La fragilité, éveil de la sensibilitéVoilà qui explique pour l’auteur que ce qui fut autrefois considéré comme « des vertus philosophiques autant que des valeurs spirituelles telles que la solitude, le silence, l’épreuve, le détachement, la blessure, ne soient plus compris ni même admis ». Jacqueline Kelen en appelle donc à une réconciliation avec la douleur et la fragilité, entendues comme « capacité d’être touché, l'éveil de la sensibilité qui correspond à l’ouverture du coeur en même temps qu’à l’abandon du moi ». D’Achille à Lancelot, d’Héraclès au Christ, aucun héros, chevalier ou saint n’est exempt de blessures. « L’allure blessée est propre au combattant spirituel, elle dit que l’homme a risqué, qu’il est entré dans la bataille en payant de sa personne ». Consentir à la blessure n’est pas faire preuve de masochisme, voire même de dolorisme : pour Jacqueline Kelen, la douleur ne sanctifie pas, mais elle nous ouvre à l’autre, au « tout autre ». C’est un « chemin d’ennoblissement, c’est reconnaître la dignité de l’être humain en manque et en marche, capable de se redresser ».
Alors que la mort marque la grande défaite de l’homme, la voie héroïque et mystique nous enseigne que la blessure peut « surmonter le trépas commun parce qu’elle confère au guerrier gloire et immortalité ".
Cet essai nous rappelle que la fragilité humaine permet de retrouver la part perdue de notre humanité. Ce livre résonne comme un appel à retrouver le goût de l’aventure et du risque, de l’ouverture.UTILE
Jacqueline Kelen, Divine Blessure, chez Albin Michel, 2005.
Pour Jacqueline Kelen, le XXe siècle a franchi un pas supplémentaire en direction de « l’infra-humanité" : désormais on affirme (...) que seuls les biens désirables sont matériels et qu’ils sont même des besoins. Plus aucune place n’est laissée à la soif, à l’attente, à la quête : il faut manger tout de suite, combler le manque et les vides, profiter de la vie ». C’est le commandement d’un nouveau genre : « Aime-toi », exigence narcissique qui remplace le « connais-toi toi-même » et « l’exigence philosophique qui, à l’égale de la démarche spirituelle, consiste à se quitter afin de s’élever à de plus vastes réalités. (...) De la connaissance de soi qui affranchit les entraves temporelles et individuelles, on est tombé dans l’amour de soi qui est enfermement, indifférence à l’autre ou utilisation d’autrui ».La fragilité, éveil de la sensibilitéVoilà qui explique pour l’auteur que ce qui fut autrefois considéré comme « des vertus philosophiques autant que des valeurs spirituelles telles que la solitude, le silence, l’épreuve, le détachement, la blessure, ne soient plus compris ni même admis ». Jacqueline Kelen en appelle donc à une réconciliation avec la douleur et la fragilité, entendues comme « capacité d’être touché, l'éveil de la sensibilité qui correspond à l’ouverture du coeur en même temps qu’à l’abandon du moi ». D’Achille à Lancelot, d’Héraclès au Christ, aucun héros, chevalier ou saint n’est exempt de blessures. « L’allure blessée est propre au combattant spirituel, elle dit que l’homme a risqué, qu’il est entré dans la bataille en payant de sa personne ». Consentir à la blessure n’est pas faire preuve de masochisme, voire même de dolorisme : pour Jacqueline Kelen, la douleur ne sanctifie pas, mais elle nous ouvre à l’autre, au « tout autre ». C’est un « chemin d’ennoblissement, c’est reconnaître la dignité de l’être humain en manque et en marche, capable de se redresser ».
Alors que la mort marque la grande défaite de l’homme, la voie héroïque et mystique nous enseigne que la blessure peut « surmonter le trépas commun parce qu’elle confère au guerrier gloire et immortalité ".
Cet essai nous rappelle que la fragilité humaine permet de retrouver la part perdue de notre humanité. Ce livre résonne comme un appel à retrouver le goût de l’aventure et du risque, de l’ouverture.UTILE
Jacqueline Kelen, Divine Blessure, chez Albin Michel, 2005.