Homosexualité: la lecture historique du bibliste Thomas Römer

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Homosexualité: la lecture historique du bibliste Thomas Römer

25 mai 2005
Le recours à la Bible dans le débat sur l’homosexualité est, selon Thomas Römer, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Lausanne, une démarche piégée
L’argument biblique est en général utilisé pour légitimer sa propre position. C'est pourquoi il propose une mise en perspective historique des textes afin de mieux cerner quel avait pu être le statut de « l’homosexualité dans le Proche-Orient et la Bible ».

Il est difficile de faire la part des choses dans le débat actuel sur l’homosexualité, qui prend un tour passionné et révèle des clivages insurmontables. Thomas Römer et Loyse Bonjour, coauteurs de « L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible », se gardent bien de sortir les écrits de leur contexte originel et de leur époque et de faire une lecture littéraliste des textes fondateurs. Ils ne sont pas des livres de recettes de vie pour toutes les époques et dans toutes les circonstances. Les deux auteurs font leur le conseil de l’Evangile de Luc, « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés ».

Par le cheminement qu’ils proposent à travers les textes anciens, ils cherchent avant tout à jalonner leur réflexion et à éclairer l’esprit du temps auquel se rapportent les premiers écrits bibliques aux alentours du 8e siècle avant J.-C. Ils relèvent également les emprunts faits aux textes des Mésopotamiens et des Egyptiens – les deux grandes puissances du moment - qui avaient depuis longtemps consigné leur culture et leur pensée, leurs mythologies, leurs sciences et leurs théologies, alors que l’identité du judaïsme émergeait à peine.

Ils soulignent l’ambivalence de la notion de sexualité dans les sociétés mésopotamiennes, qui n’était considérée ni comme un péché ni comme un tabou. La sexualité était liée à l’idée de renouvellement et de continuation de la vie, mais elle pouvait aussi être considérée comme destructrice si elle engendrait le chaos. Elle était inséparable des autres rôles et fonctions de l’individu dans la société. Le terme d’homosexualité n’existait pas. Ni la Bible hébraïque ni le Nouveau Testament ne connaissent des expressions qu’on pourrait aujourd’hui traduire par ce mot.

Si l’hétérosexualité était la norme, ce qui était condamnable avant tout, c’était la confusion des rôles, c’est-à-dire le fait qu’un des deux partenaires assumât le rôle passif qui échoit à la femme, ce qui portait atteinte au rôle traditionnel du mâle. L’enjeu de l’interdit formulé dans les textes bibliques est la transgression des frontières entre les genres.

Thomas Römer analyse les textes du Lévitique, qui sont les plus utilisés pour justifier la condamnation de l’homosexualité dans le judaïsme et le christianisme. Il s’attache à montrer que la destruction de Sodome n’est pas en premier lieu provoquée par la présumée homosexualité de ses habitants mais par une agression collective des gens de la ville qui encerclèrent la maison de Loth, voulant absolument « connaître » de force les deux messagers qu’y avaient été accueillis. C’est avant tout l’acte de violence sexuel gratuit et le non respect du devoir de l’accueil de l’étranger, concept central de l’Antiquité, qui sont punis.

Un autre texte tiré du Livre des Juges apporte un éclairage important sur le récit de la Genèse. La similitude entre les deux récits prophétiques qui se terminent pareillement par la destruction d’une ville, est frappante ; mais cette fois-ci, la victime de violences sexuelles est une femme livrée aux agresseurs. Le sort des deux villes détruites sert d’avertissement à d’autres cités pécheresses qui se montreraient orgueilleuses, oisives et hostiles envers les étrangers. On voit aussi, à travers ce récit, la condition qui était faite à la femme.

Les auteurs font remonter l’origine de l’interprétation de l’histoire de Sodome comme la condamnation des rapports homosexuels, aux alentours du 3e siècle avant notre ère, à la rencontre du judaïsme avec la culture grecque. « Il est fort possible qu’à ce moment-là, le judaïsme « orthodoxe » ait vu dans la ville de Sodome le symbole de la civilisation grecque qu’il avait du mal à accepter ».

Utile

« L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible », Thomas Römer et Loyse Bonjour, éd. Labor et Fides, mai 2005.