Le clonage, entre craintes et espoirs
26 mai 2005
La possibilité de reproduire un être humain par clonage ressemble de moins en moins à une utopie
Un nouvel ouvrage, qui réunit les écrits d’un colloque tenu en 2004 à l’Université de Lausanne, nourrit l’âpre débat éthique sur la question. En 2004, le Centre lémanique d’éthique consacrait un important colloque international à la question du clonage reproductif humain. Responsable de l’événement, le professeur d’éthique lausannois Denis Müller a réuni les principaux textes et interventions dans un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Labor et Fides*.
« L’âpreté des actes en témoigne : les enjeux du clonage reproductif humain vont bien au delà de la possibilité ou non de recourir à cette technique comme moyen de s’assurer une descendance. (...) Pour ses adversaires comme pour ses défenseurs, l’enjeu est bien celui d’une menace anthropologique », note l’auteur dans son introduction.
De manière générale, constate Denis Müller, les diatribes en faveur ou contre le clonage répondent au même schéma qui consiste à se demander si le clonage ne menace pas de « nous faire sortir de l’humain pour nous mener vers autre chose que l’on ne peut nommer mais dont on pressent qu’il rompt avec l’humanité que nous avons reçue en héritage ». Tel est l’argument majeur des adversaires du clonage. Du coup, l’essentiel du propos de ses défenseurs consiste à « dégonfler les menaces brandies ; (...) à les ramener à de simples peurs que quelques réflexions terre à terre et de bon sens devraient suffire à apaiser ».
L’enseignant le rappelle : « Avec la montée en force des sciences de la vie, l’homme est en train d’acquérir un pouvoir et une maîtrise dont l’objet n’est plus seulement la nature hors de lui, mais de plus en plus la nature en lui ». Davantage « pouvoir » que connaissance fondamentale, le clonage pose la question de sa validité : « Pourquoi faudrait-il que nous l’ayons ? Qu’exprimons-nous, par le désir d’un tel pouvoir, de notre propre humanitude, de notre manière d’être parents, procréateurs, ascendants, transmetteurs ? » Pour Denis Müller, sur un plan quasi ontologique, se pose également la question de la limite. « Y a-t-il un point à ne pas franchir dans la connaissance et, surtout, dans le pouvoir sur nous-mêmes ? (...) Ne s’agirait-il pas, en un mot, de faire le choix, au nom de notre humanité – cette incernable qualité que nous partageons et qui nous constitue – de l’interdit d’une recherche orientée vers la reconfiguration de la nature sur le fond de laquelle émerge la personne humaine ? », s’interroge enfin l’éthicien. Une menace anthropologique ?Egalement dans les camps des opposants au clonage, Isabelle Rieusset Lemarié en appelle à la dimension symbolique chère à Aristote qui constitue « la spécificité humaine par rapports aux autres espèces animales ». Pour le philosophe grec, en effet, cette spécificité ne peut se développer « que grâce à la présence des autres facultés du vivant, dont la plus fondamentale est la reproduction ».
D’après cette chercheuse en communication, renoncer à l’une de ces facultés mettrait donc en danger l’existence même de la symbolicité humaine. D’où l’idée que « le clonage reproductif ne représente pas une simple menace sociale, mais anthropologique ». De plus, estime Isabelle Rieusset Lemarié, le clonage « dénie le corps comme teneur d’un temps humain incarné, pour le réduire à un simple média destiné à reproduire techniquement un message atemporel qui lui resterait extérieur ». Dans cette optique, il s’agirait d’un processus de « réification » avec un être humain programmé et fabriqué « comme un produit ». Dérive que dénoncent des philosophes comme Hannah Arendt ou Jürgen Habermas au nom de l’impératif kantien selon lequel « l’humain doit toujours être utilisé comme fin et non comme moyen ».
A l’inverse, le professeur de philosophie américain Gregory Pence pense que « proscrire le clonage reproductif nuit plus à la dignité humaine que de l’autoriser. (...) La plupart des peurs le concernant relèvent de l’ignorance ». Cet enseignant de l’Alabama note donc que le clonage, loin d’entacher la dignité humaine, « représente une expansion de notre notion d’humanité et de nos paramètres moraux », notamment parce qu’il permet à des adultes responsables de choisir ce moyen d’avoir des enfants.
Dans sa conclusion qui ne saurait être un point final, Denis Müller évoque des « grammaires éthiques » différentes entre défenseurs et adversaires du clonage. Les premiers privilégient une « éthique maximale, respectueuse de l’image de l’homme qui découle d’une authentique théologie de la Création ». Les seconds, eux, considèrent le clonage comme un « outil au service de la dignité humaine comprise dans la logique des libertés personnelles et des droits individuels ». Un débat ardu, en constante évolution comme les connaissances dans ce domaine. UTILE
*Sous la direction de Denis Müller et Hugues Poltier, « Un Homme nouveau par le clonage ? Fantasmes, raisons, défis », chez Labor&Fides
« L’âpreté des actes en témoigne : les enjeux du clonage reproductif humain vont bien au delà de la possibilité ou non de recourir à cette technique comme moyen de s’assurer une descendance. (...) Pour ses adversaires comme pour ses défenseurs, l’enjeu est bien celui d’une menace anthropologique », note l’auteur dans son introduction.
De manière générale, constate Denis Müller, les diatribes en faveur ou contre le clonage répondent au même schéma qui consiste à se demander si le clonage ne menace pas de « nous faire sortir de l’humain pour nous mener vers autre chose que l’on ne peut nommer mais dont on pressent qu’il rompt avec l’humanité que nous avons reçue en héritage ». Tel est l’argument majeur des adversaires du clonage. Du coup, l’essentiel du propos de ses défenseurs consiste à « dégonfler les menaces brandies ; (...) à les ramener à de simples peurs que quelques réflexions terre à terre et de bon sens devraient suffire à apaiser ».
L’enseignant le rappelle : « Avec la montée en force des sciences de la vie, l’homme est en train d’acquérir un pouvoir et une maîtrise dont l’objet n’est plus seulement la nature hors de lui, mais de plus en plus la nature en lui ». Davantage « pouvoir » que connaissance fondamentale, le clonage pose la question de sa validité : « Pourquoi faudrait-il que nous l’ayons ? Qu’exprimons-nous, par le désir d’un tel pouvoir, de notre propre humanitude, de notre manière d’être parents, procréateurs, ascendants, transmetteurs ? » Pour Denis Müller, sur un plan quasi ontologique, se pose également la question de la limite. « Y a-t-il un point à ne pas franchir dans la connaissance et, surtout, dans le pouvoir sur nous-mêmes ? (...) Ne s’agirait-il pas, en un mot, de faire le choix, au nom de notre humanité – cette incernable qualité que nous partageons et qui nous constitue – de l’interdit d’une recherche orientée vers la reconfiguration de la nature sur le fond de laquelle émerge la personne humaine ? », s’interroge enfin l’éthicien. Une menace anthropologique ?Egalement dans les camps des opposants au clonage, Isabelle Rieusset Lemarié en appelle à la dimension symbolique chère à Aristote qui constitue « la spécificité humaine par rapports aux autres espèces animales ». Pour le philosophe grec, en effet, cette spécificité ne peut se développer « que grâce à la présence des autres facultés du vivant, dont la plus fondamentale est la reproduction ».
D’après cette chercheuse en communication, renoncer à l’une de ces facultés mettrait donc en danger l’existence même de la symbolicité humaine. D’où l’idée que « le clonage reproductif ne représente pas une simple menace sociale, mais anthropologique ». De plus, estime Isabelle Rieusset Lemarié, le clonage « dénie le corps comme teneur d’un temps humain incarné, pour le réduire à un simple média destiné à reproduire techniquement un message atemporel qui lui resterait extérieur ». Dans cette optique, il s’agirait d’un processus de « réification » avec un être humain programmé et fabriqué « comme un produit ». Dérive que dénoncent des philosophes comme Hannah Arendt ou Jürgen Habermas au nom de l’impératif kantien selon lequel « l’humain doit toujours être utilisé comme fin et non comme moyen ».
A l’inverse, le professeur de philosophie américain Gregory Pence pense que « proscrire le clonage reproductif nuit plus à la dignité humaine que de l’autoriser. (...) La plupart des peurs le concernant relèvent de l’ignorance ». Cet enseignant de l’Alabama note donc que le clonage, loin d’entacher la dignité humaine, « représente une expansion de notre notion d’humanité et de nos paramètres moraux », notamment parce qu’il permet à des adultes responsables de choisir ce moyen d’avoir des enfants.
Dans sa conclusion qui ne saurait être un point final, Denis Müller évoque des « grammaires éthiques » différentes entre défenseurs et adversaires du clonage. Les premiers privilégient une « éthique maximale, respectueuse de l’image de l’homme qui découle d’une authentique théologie de la Création ». Les seconds, eux, considèrent le clonage comme un « outil au service de la dignité humaine comprise dans la logique des libertés personnelles et des droits individuels ». Un débat ardu, en constante évolution comme les connaissances dans ce domaine. UTILE
*Sous la direction de Denis Müller et Hugues Poltier, « Un Homme nouveau par le clonage ? Fantasmes, raisons, défis », chez Labor&Fides