Lausanne: l'idée du bistrot social contestée sur le terrain

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Lausanne: l'idée du bistrot social contestée sur le terrain

10 août 2005
La Municipalité espère chasser les marginaux de la place publique en leur ouvrant un café emprunté au modèle biennois
Scepticisme de mise parmi les intervenants de rue et les toxicomanes. Sale temps pour les toxicomanes lausannois: chassés des escaliers de Saint-Laurent par les travaux du M2, enjoints sans succès de rejoindre la bien nommée Promenade de la solitude, les zonards de la capitale vaudoise se retrouvent depuis le début du printemps sur la place de la Riponne où ils ne semblent pas davantage être les bienvenus. Passants et commerçants pestent ou s’inquiètent. Silvia Zamora croit détenir la solution : un bistrot social, à l’image de celui existant à Bienne.

Pionnière, la cité seelandaise a ouvert le « Yucca » il y a 4 ans. Plus d’une centaine de marginaux y passent chaque jour. Le deal y est interdit, tout comme la prise de drogue. Pour cela, il faut monter à l’étage, au « Cactus », fréquenté par 800 des 1'500 toxicomanes de la région biennoise. « J’ai été convaincue », avoue la Municipale lausannoise de la sécurité sociale de retour de Suisse allemande (24 heures du 4 août). Au bord du Léman, l’idée d’un bistrot social est beaucoup plus récente que celle d’un local de consommation. Visiblement motivée, Silvia Zamora espère cependant pouvoir discuter des deux projets, qui ne se réaliseront pas forcément au même endroit, l’année prochaine au Conseil communal. Des histoires différentesA Bienne, police, travailleurs sociaux et autorités semblent satisfaits de l’expérience. « Mais il serait illusoire de penser que ce qui fonctionne là-bas marchera forcément ici. Les deux villes n’ont absolument pas la même histoire en matière de marginalité », avertit Jean-Jacques Marro. Cet éducateur spécialisé travaille depuis 13 ans à Rel’aids, l’unité mobile de prévention de l’association morgienne du Relais. Le terrain, il connaît. « A Bienne, où le milieu alternatif est beaucoup plus organisé qu’ici, le bistrot social a été défendu par les usagers eux-mêmes, et non pas imposée par les autorités ! ».

De plus, souligne Jean-Jacques Marro, le « Yucca » n’est pas la seule structure à disposition des marginaux seelandais. « Il existe notamment plusieurs aménagements à l’extérieur, par exemple vers la gare ». Pour lui, comme pour l’ensemble des intervenants interrogés, si un local de consommation constitue une vraie solution sanitaire, « La Municipalité s’illusionne complètement en pensant qu'un café empêchera les zonards de se rassembler sur la place publique ». Francis* ne les démentira pas : il ne se shoote qu’une fois par mois, mais vient presque tous les jours « boire une bière au soleil et discuter avec les copains ». Un bistrot social ? Le terme le fait sourire : « A Lausanne, il y avait des cafés populaires où nous pouvions aller. Le Joker, puis La Tulipe, le Las Vegas, la Glisse, le Lausanne-Moudon et j’en passe. Ils ont tous été fermés, en général par la police ». Consommateur de longue date, mais appartenant aux 90% des toxicomanes de l’agglomération lausannoise qui restent intégrés dans la vie sociale, il voit plusieurs problèmes dans ce concept. Celui du trafic, d’abord. « Je ne crois pas une seconde qu’on pourra y empêcher l’échange de produits. Sinon, personne ne viendra ». Celui de la suralcoolisation, ensuite. « Le mélange alcool et cocaïne, cocktail qui a remplacé l’héroïne et les médicaments, rend les gens beaucoup plus agressifs », explique Jean-Jacques Marro. Enfin, Francis pense qu’un lieu fermé renforcera les antagonismes, ce qui en chassera certains. Avec quel argent ?Si ce café voit le jour, il y aura inévitablement de la violence. Ce qui signifie l’engagement d’une équipe pour gérer les lieux et un budget pour payer l’ensemble. « Où la Ville, surendettée, trouvera-t-elle l’argent ? », s'interroge-t-on. Comme beaucoup, le pasteur de Saint-Laurent Pierre Farron craint que cela se fasse sur le dos de projets subventionnés comme l’atelier d’art thérapie l’Eveil ou SPort’ouverte, qui propose des journées de sport aux toxicomanes. « Si l’on supprime des activités reconnues pour créer quelque chose dont on ne mesure pas l'utilité, c’est nul ».

Collaboratrice du réseau de coordination Rel’ier, Nathalie Christinet résume : « S’il s’agit d’offrir un lieu convivial à cette population, j’applaudis. Mais autant oublier tout de suite l’espoir de voir l’ensemble des marginaux quitter la rue pour s’y rendre. D’autant que, contrairement à Bienne, personne ne leur a demandé leur avis ». « On ne nous a pas consultés non plus ! », renchérissent les personnes engagées sur le terrain de la toxico-dépendance.

*prénom d’emprunt