Les Evangiles apocryphes commencent enfin à être pris au sérieux

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Les Evangiles apocryphes commencent enfin à être pris au sérieux

29 mai 2006
Etes-vous capable de dire si tel élément du récit de la naissance de Jésus se trouve chez Luc ou Matthieu? On peut parier que vous en mentionnerez qui ne sont ni chez l’un, ni chez l’autre
Où parle-t-on, dans le Nouveau Testament, de la grotte de la Nativité? Et des trois rois mages? Il est facile de découvrir que le Nouveau Testament n’en précise ni le nombre, ni la qualité. En fait tous ces éléments viennent des apocryphes, ces textes que l’Eglise a si souvent attaqués comme faux, hérétiques, voire diaboliques. On recommence aujourd'hui à les prendre au sérieux. Dans le meilleur des cas, nous voyons ces textes comme des écrits pieux fondés sur la fantaisie, destinés à combler ce qui était ressenti comme des trous dans le Nouveau Testament: l’enfance de Jésus, par exemple, ou la fin de la vie des apôtres. Pourtant, ils ne sont pas de simples compléments des textes canoniques. De nombreux apocryphes ont été composés avant même le Nouveau Testament et n’étaient donc pas, originellement, destinés à compléter ce dernier. Ils se présentent comme l’oeuvre de personnes de la famille de Jésus (Jacques, «le frère du Seigneur»), de disciples ou d’apôtres (évangile de Thomas, apocalypse de Pierre...); ou alors ils sont énoncés de manière impersonnelle, les paroles et actes de Jésus et des autres personnages étant rapportés de manière directe par un narrateur omniscient. Ces deux caractéristiques des apocryphes se retrouvent, toutefois, dans les textes canonisés du Nouveau Testament. La distinction entre les uns et les autres n’est donc pas intrinsèque. Ce qui les distingue, c’est en grande partie la réception de la part de la communauté ecclésiale, qui a accepté les uns, mais pas les autres, comme des témoignages apostoliques authentiques. À tort, comme nous le savons aujourd’hui.Valeur historiqueAujourd’hui, on recommence, enfin, à prendre au sérieux les apocryphes. On s’interroge notamment sur leur utilité pour la connaissance de ce que la recherche moderne appelle le Jésus historique. A priori, une telle question est pleinement justifiée: il n’y a pas de raison de privilégier, comme témoignages historiques, les évangiles canoniques par rapport aux apocryphes. Dans cette démarche historique, il s’agit en fait de dégager, au-delà de l’apport interprétatif de chaque texte (canoniques ou non), ce qui peut remonter à des couches très anciennes de la tradition.

Le cas de l’Evangile de Thomas, retrouvé il y a une soixantaine d’années et devenu célèbre, est significatif. Il s’agit d’une collection – composée probablement au 2e siècle – de 114 paroles de Jésus, introduites le plus souvent par «Jésus dit» ou, rarement, insérées dans un mince cadre narratif, mais sans aucune organisation chronologique ou narrative générale. Ces paroles présentent le message de Jésus comme un appel à se séparer du monde extérieur et à rentrer en soi-même, à la découverte de l’élément divin qui est en nous; c’est là l’entrée dans le Royaume, qui n’est donc pas vu comme une entité future, ou en train de se réaliser, à l’échelle cosmique. Certains exégètes et historiens considèrent ce portrait de Jésus plus fidèle à l’histoire que ceux des évangiles canoniques: Jésus aurait été un maître de sagesse invitant à se tourner vers Dieu en court-circuitant les médiateurs institutionnels comme les prêtres. Je m’accorde avec ceux qui en doutent: l’avènement du Règne, comme entité cosmique, était un élément prépondérant dans le milieu religieux de Jésus. De plus, sans cet élément, comment expliquer la force de l’attente de son retour chez ses premiers disciples après sa mort ? Toutefois, on retrouve sans doute, dans cet évangile, quelques paroles de Jésus qui circulaient avant la composition des évangiles canoniques.Entrevoir la pluralité du christianismeCertains apocryphes ont peut-être moins à apporter au Jésus historique: C’est très vraisemblablement le cas, par exemple, de l’Evangile de Judas. Les dialogues entre Jésus et Judas qu’il contient sont certainement non historiques. Il permet, par contre, de voir comment certains cercles gnostiques du IIe siècle interprétaient la mort de Jésus et le rôle que Judas y avait joué, et qu’il existait alors d’autres lectures que celle totalement négative du personnage de Judas.

Quoiqu’il en soit de leur valeur historique les apocryphes peuvent ainsi contribuer à faire repenser l’interprétation ancienne des origines chrétiennes qui s’est finalement imposée, et à nous rendre plus sensibles à la pluralité de formes de christianisme dans l’Antiquité et à leurs messages.