Le CV anonyme profite aux femmes et aux étrangers, mais augmente la rigueur de la sélection

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Le CV anonyme profite aux femmes et aux étrangers, mais augmente la rigueur de la sélection

31 mai 2006
Après deux mois de sélection à l’aveugle du personnel, les Services industriels de Genève constatent une augmentation des profils atypiques parmi les candidats choisis
Migros-Genève a été surpris par un effet collatéral : les dossiers retenus sont moins nombreux.Recruter son personnel sans que le nom, l’adresse, l’âge, le sexe ou la photo du candidat n’apparaissent dans son dossier n’a pas tardé à entraîner des changements aux Services industriels de Genève (SIG) et à Migros-Genève. Ces employeurs, auxquels s’est jointe la commune de Vernier (GE), testent depuis deux mois l’embauche « à l’aveugle » de leur personnel. « Sur dix personnes qui ont été engagées depuis le 20 mars, j’ai relevé une proportion plus importante d’étrangers et de femmes que c’était le cas jusqu’alors. Au moins trois ont un profil atypique par rapport à l’ancienne pratique », relève André Wicki, responsable Formation & Développement aux ressources humaines des SIG. Une évolution frappante dans une entreprise où le taux de personnel féminin est très faible (moins de 20%) et où les statuts ont longtemps exigé de n’engager que des Genevois (seuls 13% des collaborateurs ne sont pas suisses). Migros-Genève, qui compte déjà 60% d’employés étrangers, relève un autre effet du recrutement sur une base anonyme : « la sélection est encore plus rigoureuse, car l’on cherche une adéquation plus fine encore entre le parcours professionnel, seul élément dont l’on dispose, et les qualités recherchées. Au final, il y a moins de dossiers retenus qu’auparavant », constate Jean-Charles Bruttomesso, directeur des ressources humaines de la société coopérative.

Pour obtenir ce résultat, les SIG ont mis en place une procédure dans laquelle trois conseillers en recrutement, promoteurs convaincus de ce projet piloté par le Bureau de l’intégration de Genève, accompagnent tout le processus d’embauche. Ils effectuent un premier tri sur la base de l’adéquation des compétences des candidats. Les dossiers qui satisfont à ces exigences objectives sont alors caviardés et transmis au chef de service qui a demandé l’engagement. Face aux réactions sceptiques ou amusées, le rôle du conseiller est d’expliquer la démarche, car « de façon non explicite, il peut y avoir de la discrimination. Dans une entreprise qui compte 80% d’hommes, il ne vient pas à l’esprit spontanément d’engager une femme ingénieur », estime André Wicki. Au stade de l’entretien d’embauche, lorsque l’entier du dossier est restitué à la personne chargée de l’engagement, le conseiller se fait l’avocat de ces candidatures atypiques, « veillant à ce que l’entretien se base sur des critères objectifs ». Ainsi, après avoir reçu une réponse négative à l’idée d’engager une femme dans un secteur où de lourds transports étaient prévus, une question portant sur les moyens à disposition pour effectuer ce travail (chariots) a permis de reconsidérer le choix initial.

« De manière significative, on a vu apparaître dans les entretiens d’embauche des profils de travailleurs étrangers, résidant depuis peu en Suisse, qui s’écarte de la norme du collaborateur genevois habitant Genève. Nous souhaitons casser ce réflexe pour être plus représentatif de la communauté dans laquelle nous vivons », poursuit André Wicki. Convaincu, il souhaite « poursuivre l’expérience car ces employés apportent quelque chose de neuf à une entreprise qui emploie une centaine de métiers différents, du Dr en physique au financier en passant par l’électricien. Il n’y a pas de raison que le CV anonyme ne devienne pas le processus normal de recrutement. » A fin juin, un bilan sera dressé sur la base des 20 à 30 mises au concours attendues.

A Migros-Genève, 515 dossiers ont été soumis depuis le début de l’expérience à l’anonymat, dans le cadre de trois mises au concours pour des postes de chef de rayon-vente, de coordinateur de projets commerciaux et d’assistant marketing. « Le volume et le type d’offres reçues n’a pas changé, par contre la sélection est encore plus rigoureuse. Sur 302 dossiers, la procédure anonyme a retenu 15 dossiers seulement pour un entretien, alors que c’est le cas d’une quarantaine d’entre-eux si toutes les caractéristiques du candidat sont connues. On peut donc se demander s’il n’est pas discriminant de réduire un travailleur aux postes qu’il a occupés », s’interroge Jean-Charles Bruttomesso, qui réfléchit aux suites à donner à l’expérience. « On peut se demander s’il ne serait pas plus performant de ne pas caviarder les dossiers, ce qui prend deux fois plus de temps, mais de se rappeler tout au long du processus de sélection nos engagements de non-discrimination ». Les principaux critères auxquels il faut veiller à Migros-Genève sont l’âge (deux dossiers retenus en procédure anonyme n’auraient « normalement pas été convoqués en entretien ») ainsi que l’origine et la couleur de la peau. Dès cet automne, une stagiaire noire mènera l’enquête durant six mois auprès du personnel et des responsables d’unités pour mettre en évidence leur sensibilité face aux discriminations au sein de l’entreprise et faire des propositions pour l’avenir.