« Les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers oublient tout simplement le statut spécifique de l’enfant »
15 août 2006
Pour Minh Son Nguyen, spécialiste du droit des étrangers, les révisions proposées violent la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant sur sept points
L’intérêt supérieur de l’enfant et son droit au maintien du niveau de protection n’ont en particulier pas été observés, affirme l’étude qu’il a réalisée pour le compte de Terre des Hommes.L’avocat et professeur à l’UNIL Minh Son Nguyen est fils de boat-people vietnamiens réfugiés en Suisse. Ni le fait d’avoir vécu une expulsion dans sa chair, ni la position militante de Terre des Hommes, qui a participé au référendum et a mandaté sa recherche, ne l’ont fait dévier de son but : réaliser « l’étude la plus scientifique possible » sur les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers. « Au cas où ces lois devraient entrer en vigueur, le travail que j’ai mené avec Sylvie Marguerat, juriste de Terre des Hommes et Jean Zermatten, membre du comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant, doit permettre d’en révéler efficacement les défauts. Tout n’est pas critiquable : limiter le choix de l’assureur ou du médecin pour les requérants d’asile est par exemple admissible. Mais il est clair que sur sept points majeurs, les nouvelles lois sont incompatibles avec la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). » Interview.L’une des dispositions les plus critiquées de la révision est le nouvel article 109 III du Code civil, qui prévoit, pour lutter contre les mariages de complaisance, de retirer automatiquement la filiation paternelle à l’enfant né d’une telle union.« C’est un exemple de disposition contraire à l’art. 3 CDE, qui exige que dans chaque décision, l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale. Pour combattre les mariages blancs, le législateur a prévu que l’enfant né d’un mariage jugé fictif perde le lien de filiation paternelle. L’idée est notamment d’empêcher l’acquisition de la nationalité suisse. Mais ce faisant, on a aussi supprimé l’obligation d’entretien de l’homme à l’égard de l’enfant! En fait, l’Office fédéral des migrations ignore dans quelle proportion de tels mariages sont conclus ; dans ces conditions, il est douteux de préconiser une mesure qui méconnaît à ce point l’intérêt supérieur de l’enfant à disposer d’une filiation. Casser ce lien est aussi contraire à l’art. 2 CDE, qui interdit de sanctionner l’enfant en raison du comportement des adultes. Or la sanction qui frappe les enfants nés d’une union de complaisance est unique : même dans le cas de la bigamie, la loi ne prévoit pas de suppression du lien de paternité. »S’agissant du regroupement familial, l’Office fédéral des migrations prétend que la révision améliore la situation, dans la mesure où les étrangers titulaires d’une autorisation de séjour de durée déterminée pourront désormais en bénéficier. Qu’en pensez-vous ?« Dans ce cas, la loi sur les étrangers ne donne pas de droit au regroupement familial, elle signale seulement que cette possibilité existe, si le requérant dispose d’un logement, de moyens financiers suffisants et s’il a séjourné au moins trois ans en Suisse. Parallèlement, la révision introduit des entraves supplémentaires, en exigeant, pour les enfants de plus de douze ans, que le regroupement intervienne dans un délai de douze mois. En limitant le regroupement familial, alors même que l’on ne se trouve pas dans une situation de maltraitance, on ne prend pas en considération l’intérêt supérieur de l’enfant »Exiger des enfants demandeurs d’asile qu’ils remettent, dans un délai de 48 heures, leurs documents de voyage ou pièces d’identité pose des difficultés spécifiques, relève votre étude à propos de l’art. 32 II lit. a de la loi sur l’asile.« Dans le monde, plus de 40% des enfants ne sont pas inscrits dans un registre à la naissance ; ils ne disposent donc pas de documents d’identité personnels. La loi ignore donc les difficultés liées au statut particulier des enfants ».N’est-ce pas l’occasion d’appliquer l’exception de l’alinéa III, qui permet de ne pas tenir compte de cette exigence si le requérant fait valoir un motif excusable de ne pouvoir remettre ses papiers ?« Si l’exception s’applique à la majorité des situations, elle n’en est plus une ! L’autorité dira qu’une exception doit s’appliquer restrictivement. En fait, on restreint l’accès à la procédure d’asile en posant une condition presque impossible à remplir. A nouveau, l’intérêt supérieur de l’enfant a été ignoré lors de l’élaboration de cette disposition ».La Convention (art. 26 et 4) interdit également aux autorités de légiférer en réduisant le niveau de protection de l’enfant déjà atteint dans le pays. Or la nouvelle loi sur l’asile supprime le droit à l’aide sociale des requérants d’asile déboutés, ce qui est clairement, selon vous, un retour en arrière prohibé.« Pour la jurisprudence belge, couper les vivres des requérants pour les décourager de rester sur le territoire national apparaît disproportionné lorsque les destinataires de la règle sont des enfants mineurs, dépendants de leurs parents. Cette jurisprudence affirme que la Convention interdit les mesures régressives : réduire le niveau de protection de l’enfant est contraire à la bonne foi qu’exige l’application de ce traité. En Suisse, le Tribunal fédéral n’a pas encore été saisi de cette question. Un avis de l’Office fédéral de la justice admet qu’il faut tenir compte, lors de l’octroi de l’aide d’urgence à des mineurs, de besoins allant au-delà d’un toit et d’un repas. C’est déjà ça, mais ces enfants ne peuvent être privés du droit à l’aide sociale ».D’autres points encore vous paraissent critiquables.Les mesures de contrainte en vue d’expulsion du territoire, qui peuvent aller jusqu’à douze mois pour des mineurs de 15 à 18 ans, ne correspondent pas à la détention « aussi brève que possible » exigée par la CDE. De même, les fouilles sans mandat de logements privés visant les requérants d’asile violent l’interdiction de discriminer l’enfant sur la base de son statut juridique. Sans parler des enfants sans-papiers : comment jouir du droit à l’éducation lorsque vous ne pouvez pas faire un apprentissage, ou du droit au développement lorsqu’un bailleur refuse de vous loger par crainte d’être condamné ?Votre histoire personnelle a-t-elle motivé votre engagement ?Je suis issu d’une famille vietnamienne qui a fui le régime communiste et a pu venir en Suisse depuis la Malaisie en 1980. Durant mes études, je ne me suis pas intéressé au droit des étrangers, car j’ai plutôt cherché à fuir ma condition. L’illusion d’y échapper en devenant Suisse n’a pas duré, car il y a toujours en moi et dans le regard des autres un rappel de la réalité de mon existence : une personne en suspens entre deux cultures, à la recherche d’un impossible enracinement multiple. J’ai affronté ce problème à ma manière, en faisant du droit des étrangers l’objet d’une réflexion juridique. A ce processus s’est greffé par la suite une démarche spirituelle : la condition d’étranger est devenue le fil conducteur de ma lecture de la Bible, qu’il s’agisse du vécu du Christ ou de notre sort à tous sur cette terre. De là est né mon engagement pour la dignité de l’étranger en Suisse. C’est une manière de vivre ma foi protestante.
« La loi sur les étrangers et la loi sur l’asile révisée à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant », par Sylvie Marguerat, Minh Son Nguyen et Jean Zermatten, Terre des hommes 2006, disponible à l’adresse www.tdh.ch.
« La loi sur les étrangers et la loi sur l’asile révisée à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant », par Sylvie Marguerat, Minh Son Nguyen et Jean Zermatten, Terre des hommes 2006, disponible à l’adresse www.tdh.ch.