Quand les Eglises soutenaient la peine de mort
Alberto Bondolfi : « Oui, dans la seconde partie des années 1940, une majorité de théologiens protestants, comme le chef de file luthérien conservateur Althaus, et catholiques, comme Gustav Ermecke, étaient favorables à la réintroduction de la peine capitale. Ils estimaient que son exercice était un attribut de l’Etat, qui devait en faire usage si l’ordre public l’exigeait. Cet argument théologique s’est répandu à partir du IVème siècle, lorsque la religion chrétienne, avec l’empereur Constantin, devient religion d’Etat. On a interprété le chapitre XIII de la Lettre de Paul aux Romains, « ce n’est pas en vain que les autorités de ce monde tiennent le glaive », pour légitimer durant des siècles la peine de mort comme un droit de l’Etat. Thomas d’Aquin, Augustin, Luther disent tous oui à la peine de mort, même si c’est avec des bémols (Augustin développe le droit de l’évêque d’intercéder en faveur du condamné, Luther exclut la peine capitale pour les querelles théologiques). Les théories abolitionnistes étaient défendues, dans l’Eglise, par des groupes marginaux : les Vaudois, les Cathares, les Anabaptistes rejetaient la peine capitale, suscitant la méfiance des traditionnalistes qui n’entendait pas s’y rallier. »
En Suisse, dans les années soixante, le protestant Karl Barth est le premier à faire une critique théologique de cet argument« Il est en effet le premier à dire que personne ne peut revendiquer le droit de donner à la mort d’autrui une valeur rédemptrice. Seul le Christ a ce droit, puisqu’il meurt sur la croix pour racheter les péchés des hommes. Aux Etats-Unis, l’idée qu’il peut y avoir une valeur rédemptrice et consolatoire à la peine de mort est pourtant toujours affirmée. Les journaux impriment les témoignages de parents des victimes après l’exécution, affirmant qu’ils « peuvent enfin dormir tranquilles ». A travers sa critique, Karl Barth remet en cause l’omnipotence de l’Etat, qui ne peut prétendre sauver le monde par ses châtiments. Dans les années soixante, il est toutefois relativement seul à tenir cette position. Il faudra attendre encore dix ans pour que se manifeste l’abolitionnisme chrétien avec la fondation, en 1974, du groupe œcuménique de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT). Lors de l’abolition de la peine de mort en France, en 1981, le cardinal Roger Etchegaray se rendra à l’Assemblée nationale pour plaider en faveur de son abandon. En Suisse, les Eglises catholique et protestante soutiendront l’abolition de la peine capitale en toutes circonstances en 1992. »
Aux Etats-Unis, l’Eglise catholique s’exprime avec une extrême prudence au sujet de la peine de mort. Comment expliquez-vous ce manque de courage ?« Il existe dans ce pays une « religion civile » commune, quelle que soit la confession, qui justifie l’usage de la peine de mort. Si le Vatican soutient l’abolitionnisme, il doit le faire dans des Etats où le christianisme est majoritaire et où cette position n’est pas partagée par une grande partie de la population. En 1980, le catéchisme de l’Eglise catholique affirmait encore qu’il n’était pas opportun qu’un Etat prévoie la peine de mort, mais que l’on ne pouvait empêcher dans certains cas l’Etat d’en faire usage. La condamnation a été plus claire par la suite, mais le Saint-Siège doit tenir compte de la puissance diplomatique de certains Etats, avec lesquels il s’est déjà trouvé en délicatesse, par ex. à la suite de ses déclarations sur l’économie »
N’est-il pas choquant que des aumôniers prêtent encore leur concours à l’exécution capitale ?On ne peut laisser seul un condamné à mort au motif que l’on désapprouve cette pratique. Se retirer serait à mon avis encourager encore ses partisans. Par contre, il faut déclarer clairement son désaccord, avant et après l’exécution.
La peine de mort, colloque interdisciplinaire, Institut suisse de droit comparé, 28 et 29 septembre 2006. Le programme détaillé peut être consulté à l’adresse http://www2.unil.ch/die