Des noms d'oiseaux pour les descendants d'esclaves: un théologien genevois leur consacre une étude
27 août 2008
Malacquis, Yoyotte, Pasbeau, Zonzon, Charabia, Nègrobar, Soupapoul, Malcousu: sobriquets ridicules, noms humiliants hérités de l’esclavage sont monnaie courante aux Antilles : lorsqu’il enseignait la théologie dans les territoires français d’Outre-mer, le pasteur et anthropologue genevois Philippe Chanson a été frappé par les patronymes offensants qu’il a relevés dans les annuaires téléphoniques locaux
Il choisit de consacrer une étude ethnographique à la blessure identitaire infligée aux porteurs de ces noms par les anciens maîtres et par des fonctionnaires pressés qui, à l’abolition de l’esclavage français en 1848, ont inscrit en toute hâte 170'000 nouveaux citoyens dans leurs registres. "Mon nom : offensé. Mon prénom : humilié. Mon état : révolté ». L’écrivain martiniquais Aimé Césaire, récemment décédé et avec lequel Philippe Chanson s'est entretenu sur "la honte" des noms à Fort-de-France, résume bien l’état d’esprit de ceux qui ont hérité des patronymes issus de l’esclavage et de la colonisation. Pour surmonter « la déveine du nègre », pour reprendre une expression antillaise, la société créole a parfois choisi de rire de ces noms, jadis piqués au hasard dans des encyclopédies, empruntés à la Bible ou à des manuels techniques, ou encore dictés par le mépris du maître ou par une particularité physique de l’esclave. Débarqués des navires négriers, les esclaves étaient automatiquement renommés d’un simple prénom par leurs maîtres, comme s’ils n’avaient pas de nom africain. Ce mépris des noms autochtones révèle un dédain plus vaste pour les peuples : les colonisateurs et les marchands d’esclaves font comme si les territoires et leurs habitants n’existaient pas avant leur arrivée. Résultat: on a fait d’eux un peuple sans nom. Puis il a fallu leur trouver de véritables patronymes après l’Abolition !
« Ces noms reflètent la permanence d’une inégalité entretenue comme une composante de l’identité », analyse Philippe Chanson qui a travaillé aux Antilles et en Guyane française comme enseignant en théologie pendant sept ans, de 1987 à 1994. Ils témoignent d’une vaste entreprise de déshumanisation qui perdure aujourd’hui à travers le maintien de ces patronymes, qui rend souvent difficile l’estime de soi". L’occultation de l’histoire de ces noms, liée à l’arrachement à la Terre Mère originelle africaine, m’a interpellé. J’ai entrepris des recherches sur 170'000 patronymes. Avec mon livre, « La blessure du nom », j’ai souhaité aider à la reconnaissance de cette blessure identitaire ».
Quand Philippe Chanson a débarqué en terre créole, il s’est très vite rendu compte qu’il n’avait pas les bons outils. « Le mot Dieu ne sonnait pas la même chose pour les Antillais. Pour eux, Dieu vient toujours avec son chapeau Panama pour faire son inspection terrestre, comme un béké, c’est-à-dire comme le Maître. En fait, Dieu reste le Colon. On parle peu de son amour. Les colonisateurs avaient interdit toute autre religion que le christianisme, plaqué artificiellement sur les croyances et les dieux anciens. La société antillaise est pétrie de christianisme, mais dans le fond, elle conteste profondément ce que lui a amené le christianisme colonial. J’ai découvert un grand ‘mal-vivre-de-Dieu’ qui m’a fait chercher d’autres outils pour appréhender la réalité antillaise, ce qui fait son identité, ce qui façonne l’affect antillais. C’est comme ça que j’ai « viré vers l’anthropologie ». J’ai accompli alors une formation d’anthropologue à l’Université de Louvain en Belgique, et je suis aujourd’hui chercheur associé de cette Université. L’anthropologie a enrichi ma théologie ».
La blessure du nom, une anthropologie d’une séquelle de l’esclavage aux Antilles-Guyane, Philippe Chanson, 154 pages, août 2008, éditions Academia Bruylant (collect. Anthropologie Prospective).
« Ces noms reflètent la permanence d’une inégalité entretenue comme une composante de l’identité », analyse Philippe Chanson qui a travaillé aux Antilles et en Guyane française comme enseignant en théologie pendant sept ans, de 1987 à 1994. Ils témoignent d’une vaste entreprise de déshumanisation qui perdure aujourd’hui à travers le maintien de ces patronymes, qui rend souvent difficile l’estime de soi". L’occultation de l’histoire de ces noms, liée à l’arrachement à la Terre Mère originelle africaine, m’a interpellé. J’ai entrepris des recherches sur 170'000 patronymes. Avec mon livre, « La blessure du nom », j’ai souhaité aider à la reconnaissance de cette blessure identitaire ».
Quand Philippe Chanson a débarqué en terre créole, il s’est très vite rendu compte qu’il n’avait pas les bons outils. « Le mot Dieu ne sonnait pas la même chose pour les Antillais. Pour eux, Dieu vient toujours avec son chapeau Panama pour faire son inspection terrestre, comme un béké, c’est-à-dire comme le Maître. En fait, Dieu reste le Colon. On parle peu de son amour. Les colonisateurs avaient interdit toute autre religion que le christianisme, plaqué artificiellement sur les croyances et les dieux anciens. La société antillaise est pétrie de christianisme, mais dans le fond, elle conteste profondément ce que lui a amené le christianisme colonial. J’ai découvert un grand ‘mal-vivre-de-Dieu’ qui m’a fait chercher d’autres outils pour appréhender la réalité antillaise, ce qui fait son identité, ce qui façonne l’affect antillais. C’est comme ça que j’ai « viré vers l’anthropologie ». J’ai accompli alors une formation d’anthropologue à l’Université de Louvain en Belgique, et je suis aujourd’hui chercheur associé de cette Université. L’anthropologie a enrichi ma théologie ».
La blessure du nom, une anthropologie d’une séquelle de l’esclavage aux Antilles-Guyane, Philippe Chanson, 154 pages, août 2008, éditions Academia Bruylant (collect. Anthropologie Prospective).