Défis éthiques: Il est temps de moraliser la finance
4 septembre 2008
Turbulences financières, pertes records, crise américaine des subprimes : l’avenir radieux promis par la logique du système financier mondial s’effondre
Comment remettre la notion de bien commun et les préoccupations sociales et humaines au centre de l’économie ? Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la Finance à Genève, professeur d’économie à l’Université de Fribourg, plaide pour une moralisation de la finance. Il sera l’un des intervenants de l’université d’été de la Fondation Ethique & Art, qui aura lieu à Chartres du 18 au 21 septembre 2008. Interview. Paul Dembinski pose un diagnostic sévère de la situation actuelle et ose appeler un chat un chat : il n’hésite pas à parler de cupidité pour désigner l’appât du gain et le culte du rendement financier. « Autrefois, la cupidité était un vice honteux, en l’espace de vingt ans, elle est quasiment devenue une vertu ! », constate-t-il.
Après dix ans passés à analyser le monde financier et ses mécanismes sous tous ses aspects, il fait un constat sans appel : la finance s’est déconnectée des réalités sociales et humaines et a perdu de vue la notion de bien commun et d’intérêt général. Devant l’effacement progressif du politique, le « tout économique » s’est imposé, mais a aussi perdu toute perspective éthique. On a le sentiment que l’homme de la rue a de plus en plus de peine à comprendre le monde de la finance, il se trouve plutôt désemparé et a perdu confiance.C’est compréhensible. La finance moderne forme un univers de signes dématérialisé, avec une référence très inconstante au réel. On est de plus en plus dans un monde virtuel, on manipule les symboles, on cherche la performance technique sans lien avec les répercussions sociales et économiques de nos actions. Les gens devraient dire qu’ils ne comprennent pas les mécanismes dans lesquels on l’a introduit à son insu. Voyez la crise des crédits hypothécaires en Amérique. Ils ont été vendus, non pas dans le but que des personnes deviennent propriétaires d’un bien immobilier, mais pour que ceux qui les leur ont vendus puissent en faire des produits financiers afin de les refiler à d’autres, en gagnant de l’argent au passage. Les gens ne savaient souvent pas vraiment dans quelle situation les mettaient les crédits qu’ils avaient souscrits.Comment en est-on arrivé là ?Durant le processus de financiarisation de ces trente dernières années, les gens, par peur du lendemain, se sont assurés par l’épargne, ont contracté toutes sortes d’assurances. Des silos d’épargne ont été constitués, c’est-à-dire des masses considérables de liquidité. Il s’agit de fonds de pension, d’assurances ou de banques qui ont collecté l’épargne des gens, et qui sont aujourd’hui gestionnaires de cette épargne dont vous et moi ne connaissons pas la nature véritable. Cet « empilement » d’argent a pour effet d’engendrer des contraintes de rentabilité supplémentaires. On s’est mis à placer toujours plus d’argent, sans s’investir véritablement. On a porté au paroxysme la quête du gain en capital et celle de l’option de sortie immédiate. La patience, la loyauté, la durée et la confiance, piliers de la relation, se sont affaiblies avec pour conséquence la montée de la méfiance qui s’est manifestée par une perte de liquidités, synonyme de confiance. Le credo de l’efficacité a eu raison des résistances morales et s’est imposé comme le critère ultime de jugement. Cette tendance est sur le point de déboucher sur une « aliénation éthique » des professionnels de la finance qui cessent de se préoccuper et de comprendre le sens et la portée de leurs activités, au-delà de la simple question de la rémunération.Comment peut-on réintroduire des critères éthiques dans le monde de la finance ? Il ne faut pas s’en remettre à un mécanisme anonyme qui dé-responsabilise les acteurs, mettre en doute la prééminence dogmatique du souci d’efficacité financière et instaurer dans tous les domaines de la vie économique et financière des incitations à la durée, de manière à freiner la destruction des relations. Il est indispensable aujourd’hui, alors qu’il en est encore temps, de reprendre l’avenir en nos mains, de sortir au grand air en claquant la porte de la prison dorée en apparence des promesses actuarielles, de libérer l’homme de l’illusion de la finance et de remettre cette dernière au service de l’épanouissement et de la dignité humaine. Il faut mettre en place les méthodes et les moyens permettant de desserrer à moyen terme le carcan que les promesses de retraites font peser sur l’activité productive, remettre la finance au service de l’investissement, créateur de richesse et d’emplois. Il s’agit d’un travail qui demande du courage politique et une grande probité technique tant il est vrai que les intérêts professionnels des intermédiaires financiers peuvent se trouver en jeu. Ce travail est urgent puisqu’il faudrait qu’il porte ses fruits avant qu’il ne devienne évident que les promesses financières des retraites par capitalisation sont impossibles à tenir.La tâche n’est-elle pas impossible ? Il n’est pas totalement désespéré. Avec son manifeste, publié ce printemps, la Fondation de l’Observatoire de la Finance apporte sa modeste contribution.
Après dix ans passés à analyser le monde financier et ses mécanismes sous tous ses aspects, il fait un constat sans appel : la finance s’est déconnectée des réalités sociales et humaines et a perdu de vue la notion de bien commun et d’intérêt général. Devant l’effacement progressif du politique, le « tout économique » s’est imposé, mais a aussi perdu toute perspective éthique. On a le sentiment que l’homme de la rue a de plus en plus de peine à comprendre le monde de la finance, il se trouve plutôt désemparé et a perdu confiance.C’est compréhensible. La finance moderne forme un univers de signes dématérialisé, avec une référence très inconstante au réel. On est de plus en plus dans un monde virtuel, on manipule les symboles, on cherche la performance technique sans lien avec les répercussions sociales et économiques de nos actions. Les gens devraient dire qu’ils ne comprennent pas les mécanismes dans lesquels on l’a introduit à son insu. Voyez la crise des crédits hypothécaires en Amérique. Ils ont été vendus, non pas dans le but que des personnes deviennent propriétaires d’un bien immobilier, mais pour que ceux qui les leur ont vendus puissent en faire des produits financiers afin de les refiler à d’autres, en gagnant de l’argent au passage. Les gens ne savaient souvent pas vraiment dans quelle situation les mettaient les crédits qu’ils avaient souscrits.Comment en est-on arrivé là ?Durant le processus de financiarisation de ces trente dernières années, les gens, par peur du lendemain, se sont assurés par l’épargne, ont contracté toutes sortes d’assurances. Des silos d’épargne ont été constitués, c’est-à-dire des masses considérables de liquidité. Il s’agit de fonds de pension, d’assurances ou de banques qui ont collecté l’épargne des gens, et qui sont aujourd’hui gestionnaires de cette épargne dont vous et moi ne connaissons pas la nature véritable. Cet « empilement » d’argent a pour effet d’engendrer des contraintes de rentabilité supplémentaires. On s’est mis à placer toujours plus d’argent, sans s’investir véritablement. On a porté au paroxysme la quête du gain en capital et celle de l’option de sortie immédiate. La patience, la loyauté, la durée et la confiance, piliers de la relation, se sont affaiblies avec pour conséquence la montée de la méfiance qui s’est manifestée par une perte de liquidités, synonyme de confiance. Le credo de l’efficacité a eu raison des résistances morales et s’est imposé comme le critère ultime de jugement. Cette tendance est sur le point de déboucher sur une « aliénation éthique » des professionnels de la finance qui cessent de se préoccuper et de comprendre le sens et la portée de leurs activités, au-delà de la simple question de la rémunération.Comment peut-on réintroduire des critères éthiques dans le monde de la finance ? Il ne faut pas s’en remettre à un mécanisme anonyme qui dé-responsabilise les acteurs, mettre en doute la prééminence dogmatique du souci d’efficacité financière et instaurer dans tous les domaines de la vie économique et financière des incitations à la durée, de manière à freiner la destruction des relations. Il est indispensable aujourd’hui, alors qu’il en est encore temps, de reprendre l’avenir en nos mains, de sortir au grand air en claquant la porte de la prison dorée en apparence des promesses actuarielles, de libérer l’homme de l’illusion de la finance et de remettre cette dernière au service de l’épanouissement et de la dignité humaine. Il faut mettre en place les méthodes et les moyens permettant de desserrer à moyen terme le carcan que les promesses de retraites font peser sur l’activité productive, remettre la finance au service de l’investissement, créateur de richesse et d’emplois. Il s’agit d’un travail qui demande du courage politique et une grande probité technique tant il est vrai que les intérêts professionnels des intermédiaires financiers peuvent se trouver en jeu. Ce travail est urgent puisqu’il faudrait qu’il porte ses fruits avant qu’il ne devienne évident que les promesses financières des retraites par capitalisation sont impossibles à tenir.La tâche n’est-elle pas impossible ? Il n’est pas totalement désespéré. Avec son manifeste, publié ce printemps, la Fondation de l’Observatoire de la Finance apporte sa modeste contribution.