"Réinventer le christianisme et mettre la Bible à la portée de tous, ce n'est pas rien!"Professeur de littérature, Olivier Millet raconte Calvin et lui rend justice

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"Réinventer le christianisme et mettre la Bible à la portée de tous, ce n'est pas rien!"Professeur de littérature, Olivier Millet raconte Calvin et lui rend justice

29 janvier 2009
« Sans Calvin, le protestantisme existerait-il encore ? » Pour Olivier Millet, professeur de littérature à Paris, spécialiste de l’humanisme au 16ème siècle, la question est pertinente : le Réformateur de Genève a non seulement réinventé le christianisme et mis l’Évangile à la portée de tous, il a aussi permis à la Réforme de résister à l’Église de Rome
« Calvin est un phénomène historique qui vaut la peine qu’on dépasse les préjugés le concernant ! » Interview à deux pas de l’église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris d’où fut lancé, en 1572, le massacre des protestants de la Saint Barthélémy.Olivier Millet vient à la fois de rééditer l’œuvre magistrale de Calvin, « L’institution de la religion chrétienne » dans sa version française de 1541, et de publier un petit ouvrage alerte sur le Réformateur de Genève, dont on commémore cette année le 500ème anniversaire de la naissance. Le spécialiste de la littérature du 16ème siècle, qui dit admirer Calvin mais ne pas l’aimer, défend avec une fougue désarmante cette figure du protestantisme. Il replace le Réformateur de Genève dans son contexte historique et le débarrasse de sa mauvaise réputation.Quel est le vrai visage de Calvin ?- Il est temps de se défaire des préjugés accumulés par les détracteurs de Jean Calvin, notamment au cours du 19ème siècle qui en ont fait un personnage fantasmatique de la religion. Ce que les gens d’aujourd’hui n’aiment pas chez Calvin, c’est en fait une détestation plus générale de leur propre passé. Ils sont en fait victimes d’une ignorance et de la construction d’une mythologie. J’admire la façon dont Jean Calvin a créé une langue qui correspondait à une vision du monde, j’admire la façon dont il a maîtrisé avec une conscience vive un moyen de communication, à la fois écrit et oral, pour reformuler entièrement le christianisme et le mettre à la portée de tous. Calvin fait partie de la deuxième génération de la Réforme protestante, la première étant représentée par Luther. Pour sauver le message de la Réforme, il comprend la nécessité d’organiser et de structurer la foi protestante et d’en faire une doctrine de combat. Il s’adresse en priorité aux protestants français et européens qui risquent le bûcher pour avoir choisi la foi réformée, aux réfugiés qui fuient les persécutions, aux petites communautés d’exilés à Genève ou ailleurs. Calvin leur dit que leur salut est l’affaire de Dieu. Martin Luther l’avait déjà affirmé, mais Calvin ajoute : « Vous êtes élu par Dieu. Ni le Mal, ni le diable, ni les persécutions ne peuvent rien sur vous. Vous êtes dans les mains de Dieu ». Aucun homme ne peut juger qu’un autre est damné, cela appartient à Dieu seul. C’est une manière radicale de libérer l’homme. Calvin a fait de Genève le lieu d’un christianisme alternatif et un atelier de traduction de la Bible dans la langue des gens, ce qui a assuré la survie de l’Évangile et sa diffusion dans le monde entier. C’est un phénomène historique qui vaut la peine de dépasser les préjugés et les clichés.Et le bûcher de Servet, est-il à mettre sur le compte des préjugés sur Calvin ?- Michel Servet s’en est pris avec obstination à la doctrine de la Trinité. Depuis la fin de l’empire romain, la Trinité est la base même de la foi chrétienne. Si Servet n’avait pas été condamné comme hérétique, les catholiques auraient compris que Genève se positionnait contre la Trinité, c’est-à-dire contre le fondement même du christianisme. Au 16ème siècle, on ne pouvait pas toucher à la Trinité, ça aurait été monstrueux. On reproche aujourd’hui à Calvin son austérité et sa discipline.- C’est vrai, Jean Calvin n’était pas un marrant, mais c’est lui tout de même qui a affirmé que les plaisirs de la vie ont une légitimité par eux-mêmes, et n’ont pas d’autre fin, comme l’affirmait la tradition chrétienne de Saint Augustin. Cela a dû lui coûter cher de ne pas être d’accord avec son ancien maître. Je tiens à corriger l’idée qu’on se fait aujourd’hui de la dure discipline de Calvin, jugée aujourd’hui comme une censure des mœurs. Il ne s’agissait pas d’une dictature morale mais d'instituer ce qui semblait alors un ordre charitable et équitable. Depuis soixante ans, le travail des historiens a permis de mieux comprendre l’objectif visé par Calvin: les archives nous montrent que les « pécheurs », convoqués par le Consistoire, étaient souvent des hommes qui battaient leur femme, leurs enfants ou maltraitaient leurs serviteurs, ou encore trompaient leur conjoint; ils forment le gros des gens convoqués.L’autre grande question concerne le rôle de l’argent, notamment du prêt à intérêt.- Pour Calvin, l’argent ne doit pas asservir les autres, il interdit donc le prêt de survie, qui permet aux gens de ne pas mourir de faim et il organise la charité publique pour aider ces malheureux. Il n’est pas question d’exploiter la misère de l’autre. Il distingue ce prêt de celui qui sert à l'investissement, qui doit être fixé par le pouvoir politique, afin qu’il ne soit pas usuraire. Les autorités de Genève suivent ses conseils et fixent le taux à 5%, puis, en 1557, à 6,67%. Calvin promeut la recherche de l’équilibre et de la solidarité entre les riches et les pauvres au nom de la justice morale. Sa doctrine en matière d’argent est tout le contraire du libéralisme économique et du capitalisme sauvage.