Un pardon douloureux pour les Cambodgiens
Par Pierre-Yves Moret
« Cette demande de pardon ne signifie rien pour les victimes », explique Claire Ly. Cette professeure de théologie et de sciences des religions à Marseille était récemment de passage en Suisse pour une série de conférences. Convertie au catholicisme, Claire Ly a elle-même vécu l'enfer des camps de Pol Pot pendant quatre ans.
La rescapée souligne ici une fracture culturelle. « Vous les Occidentaux, vous avez une curiosité intellectuelle très grande envers Douch, déclare-t-elle. Vous voyez en lui un criminel qui demande pardon, un repenti. Alors que nous, les victimes, le peuple Khmer, nous voyons en Douch un criminel, un point c'est tout. »C'est la notion même de pardon qui pose question. « Douch prétend qu'il est chrétien et qu'il demande pardon, poursuit Claire Ly. Mais quand nous introduisons le pardon par une autre culture, une autre tradition spirituelle qui n'est pas celle du Cambodge, le peuple Khmer a du mal à suivre et ne comprend pas ce pardon-là. »
Car le concept de pardon appartient d'abord aux trois monothéismes. Il a même été radicalisé par le christianisme. « Cette idée est en lien direct avec la faute, la culpabilité », note Lytta Basset, théologienne et auteure de plusieurs ouvrages sur le pardon. « Il y a une hypersensibilité sur le péché originel, et donc sur le pardon », ajoute-t-elle.
Le pardon khmer
Si cette notion ne lui appartient pas de la même manière, la culture khmère n'exclut toutefois pas complètement l'idée de pardon. « Nous utilisons le terme de « som leuk tos », qui signifie alléger la colère, alléger la faute. Douch n'a jamais utilisé ce terme, en se référant à la culture bouddhique khmère », souligne Claire Ly. Mais le problème n'est pas que lexical.
« Pour Douch, le seul moyen d'alléger sa faute est de faire preuve de sa sincérité. En collaborant, en nous aidant à éclairer cette période obscure de l'histoire du pays », explique-t-elle. « Nous voulons comprendre comment les ordres ont été donnés pour parvenir à une telle destruction de masse de la population civile. Mais Douch n'a pas répondu à nos attentes. »
Les convictions religieuses de Claire Ly ne sont d'ailleurs pas à dissocier de ses origines. « Si je me suis convertie au catholicisme, je reste Khmère avant tout, relève-t-elle. Dans la tradition bouddhiste, il y a la croyance dans le karma. Cela implique que tout acte mauvais sera puni tôt ou tard. »
Un procès controversé
Comme Claire Ly, de nombreux Cambodgiens restent perplexes quant à l'intention de Douch de faire toute la vérité. En plus du sentiment de ne pas être entendus dans leurs blessures, beaucoup d'entre eux contestent les conditions de ce procès.
« C'est une dérobade. Douch se pavane aux audiences, il est déjà entré dans l'histoire », observe Claire Ly. « Si ce tribunal fonctionne, le but n'est pas dans la demande de pardon aux victimes, mais c'est de permettre au Cambodge de repartir, d'arriver à la réconciliation nationale. »
La question de la réconciliation est bien au coeur du problème. De nombreux Cambodgiens doutent de l'efficacité de ce procès sur cette question. Présenté comme une victime par son avocat, Douch est même soupçonné par certains de vouloir influencer l’issue du procès en sa faveur.
Claire Ly rappelle qu'il y a en tout 189 prisons telles que celle que Douch a dirigé. « Où sont les 188 autres criminels tels que Douch ? Pourquoi Douch ne nous a rien dit de tout cela ? Le tribunal ne doit pas être une fin en soi, mais un processus qui ouvre le travail de mémoire pour le peuple Khmer. La jeune génération ignore toute cette partie de l'histoire du pays. »
Douch est en détention depuis 1999, et fut inculpé en juillet 2007 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et meurtre avec préméditation par le tribunal du génocide cambodgien. Il est le premier responsable Khmer rouge à être inculpé par cette autorité judiciaire, parrainée par les Nations Unies. Débuté en février 2009, le procès devrait se clore en 2010.