Choisir sa mort, l'ultime liberté?

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Choisir sa mort, l'ultime liberté?

28 janvier 2010
Grande figure française de l'éthique médicale, le chercheur Axel Kahn aborde l'euthanasie dans son dernier livre, « L'Ultime liberté? » (Ed. Plon). Pour l'actuel président de l'Université Paris Descartes, le désir de suicide n'est jamais l'expression de la liberté.


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L'euthanasie est devenue une question brûlante de notre société. Pourquoi?

Axel Kahn Tout d'abord à cause de l'affaiblissement de la sacralité de la vie en Occident. Si la vie est aux mains de Dieu et lui seul la donne et peut la reprendre, l'idée même du suicide n'est plus imaginable. Cet interdit disparaît dans notre existence largement laïcisée. Nous assistons aussi à la montée en puissance de l'individualisme: chacun d'entre nous veut être le seul maître à même de décider de ce qui est bien ou mal.

Y a-t-il encore une place pour nos aînés dans notre société moderne?

Il y a une confusion croissante entre l'être et le corps, qui amène l'idée qu'une vie désirable devrait nécessairement s'épanouir dans un corps jeune, beau, productif, actif... Un nombre croissant de personnes se demandent quelle est la valeur d'une vie qui s'éloigne radicalement de ces exigences. Il y a aussi un aspect économique, car notre existence individuelle est avant tout celle des consommateurs et des producteurs. Il s'incarne dans un sentiment de culpabilité ressenti lorsque l'on devient une charge pour les siens ou pour la communauté. La société tend à développer cette culpabilité. Ainsi, la vie qui ne correspond plus à ces standards de vie désirable, la vie de la personne qui n'est plus ni jeune, ni forte, ni productrice, ni vraiment consommatrice (si ce n'est de soins) finit par être retranchée de la famille et de la cité.

Que pensez-vous de la législation suisse, qui autorise l'aide au suicide?

Je suis moi-même terriblement perplexe et hésitant. J'ai été confronté si souvent à ces questions que je me défends de tout manichéisme. Cela dit, je vois bien le danger du système suisse. De nombreuses personnes demandant à accéder à ce service sont d'un certain âge, et non pas des personnes atteintes de maladies incurables. On peut donc penser que la dépression liées à l'âge joue un grand rôle. La première réponse ne doit pas être de leur offrir la possibilité de mourir, mais de questionner la place de la personne âgée dans la société ainsi que la continuité des générations. Je ne me retrouve pas dans les deux positions extrêmes: d'un côté, l'idée que, la vie est absolument sacrée et que seul le Seigneur peut la reprendre. De l'autre, une législation donnant à certains la légitimité de décider d'interrompre la vie d'un autre.

L'euthanasie doit donc rester illégale?

La loi ne doit pas se fixer pour but de rentrer dans les détails de toutes les pratiques. Elle a avant tout un rôle pédagogique; elle doit définir des valeurs autour desquelles une société se réunit. Et une loi qui indique que donner la mort volontairement reste interdit me convient. Mais il peut évidemment y avoir des exceptions. La situation où l'euthanasie serait la seule possibilité pour éviter un scandale encore plus terrible – à savoir la douleur que l'on ne sait pas calmer – m'amènerait sans doute à y consentir. Dans de tels cas, les tribunaux acquittent d'ailleurs souvent celui qui a pris la responsabilité personnelle d'aider son prochain à se suicider, comme pour le cas de légitime défense. Il est alors important que la procédure judiciaire soit rapide et simplifiée.

Comment répondre à une personne demandant la mort?


La première réponse ne doit jamais être d'accéder à cette demande, même si une procédure en définit les conditions, comme dans les pays où l'euthanasie est légale. Il faut d'abord s'efforcer de rétablir les conditions d'un choix réel et faire que différentes perspectives potentiellement désirables s'ouvrent à la personne.

Si celle-ci souffre, il faut d'abord arrêter la douleur. Si elle est totalement abandonnée ou désespérée et qu'elle remet en question sa place dans la société, il faut essayer par tous les moyens de lui faire prendre conscience de son importance pour autrui, du fait qu'elle reste une personne ayant de la valeur aux yeux des autres et qu'elle peut être réellement l'objet d'amour.

Est-ce vraiment toujours possible?


Non, malheureusement. Mais il faut alors reconnaître que donner la mort parce que l'on est incapable d'offrir l'amour, reflète l'absence de toute bonne solution et n'offre pas une réelle liberté. La liberté, c'est au moins d'avoir le choix entre deux solutions.

Les soins palliatifs apportent-ils une réponse?

Les soins palliatifs doivent permettre de continuer à trouver de l'intérêt à la vie malgré l'issue fatale prévisible à brève échéance. Leur but n'est pas de préparer à la mort, mais de déterminer les conditions d'une vie pour qu'elle reste désirable. Une personne qui va mourir peur se réjouir d'échanger avec des gens qu'elle aime ou qu'elle respecte, comme par exemple d'avoir simplement des nouvelles de ses petits-enfants.

Peut-on donner la mort pour soulager la douleur?

Oui, il s'agit de l'approche du « double effet », qui est encadré par la loi en France. Avant même l'interdiction de tuer se trouve l'assistance obligatoire que doit la société aux personnes dont la souffrance provoque une détresse insupportable. L'exigence de les soulager vient absolument en premier, même si cela doit entraîner la mort.

Est-il normal de penser à la mort?

Chacun d'entre nous porte cette idée. Ce qui n'est pas normal, c'est de ne pas penser à la mort. La connaissance et la terreur de la mort, qui habitent chaque individu, peuvent d'ailleurs pousser à hâter ce que l'on craint et qui est inéluctable. Plutôt que de vivre avec cette terreur, on va alors désirer en finir une fois pour toutes.

Bibliographie

Généticien et essayiste, Axel Khan est l’auteur de nombreux ouvrages dont L’Ultime liberté, paru aux éditions Plon en 2008. Il a notamment coécrit L’Homme, le Bien, le Mal. Une morale sans transcendance, paru aux éditions Stock en 2008 et Bioéthique et liberté, paru aux éditions PUF en 2004.Remerciements

Cette interview a d'abord paru dans "Chuv/Magazine", le magazine du Centre hospitalier universitaire du canton de Vaud. Les responsables du magazine ont autorisé sa publication sur le site de ProtestInfo. Nous les en remercions.