A qui profite le débat sécuritaire?

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A qui profite le débat sécuritaire?

28 avril 2010
Les étrangers et les jeunes commettent proportionnellement davantage de délits que les autres citoyens. C'est ce que montre la nouvelle statistique policière sur la criminalité. Publiée en mars dernier, elle présente pour la première fois un panorama global des infractions commises en Suisse. Comment interpréter ces chiffres ? A qui profite le débat sécuritaire ? Sur ces questions, le regard pragmatique d'Olivier Guéniat, criminologue et chef de la police de sûreté du canton de Neuchâtel.


Propos recueillis par Julien Baumann.

Olivier Guéniat, y a-t-il une corrélation entre nationalité et criminalité ?

La nationalité n'a aucune incidence sur le passage à l'acte. La criminalité se définit grâce à une vingtaine de variables, réparties en quatre grands groupes. Par exemple, le background d'une personne, c'est-à-dire le sexe, l'âge et la classe sociale, vont jouer un rôle. Le contexte familial et l'environnement dans lequel un individu évolue. Et le plus important, la situation scolaire ou socioprofessionnelle. Il n'y a rien de plus risqué pour une personne que de ne pas pouvoir se projeter dans l'avenir. Quelle que soit la couleur du passeport, si ces variables sont réunies, il y a plus 80% de risque qu'un individu passe à l'acte. Je n'aime pas l'utilisation du terme « étrangers » pour analyser la criminalité. Il donne l'illusion qu'ils forment un tout indissociable alors qu'il en existe plusieurs catégories. On ne peut pas comparer un détenteur de permis C à une personne qui n'a aucun statut en Suisse. Un migrant allemand travaillant à Zurich n'a pas la même perspective qu'un Somalien qui fuit son pays en guerre.

Certains de ces chiffres vont être repris en politique, pendant la campagne touchant à l'initiative pour le renvoi des étrangers criminels. N'y a-t-il pas risque de manipulation ?

Tant que les partis respectent les chiffres, ils peuvent leur donner l'orientation politique qu'ils souhaitent. Ce n'est pas à moi de leur dire ce qu'ils ont à faire. Par contre, il n'est plus possible d'affirmer n'importe quoi! Nous savons maintenant que le 99% du trafic de stupéfiants n'est pas l'œuvre des Africains. A propos de l'initiative, je pense qu'elle n'aura pas d'incidence sur la criminalité, ni sur le sentiment d'insécurité, ni sur le risque réel qu'encourt la population. Nous allons voter pour savoir s'il faut renvoyer 800 ou 1 500 personnes. L'effet de ces renvois sur les quelque 670 000 infractions commises en Suisse est négligeable.

Que dire de la délinquance juvénile qui représente environ 18% du total des délits ?

Le taux de mineurs inculpés était de 36% en 1982. Puis, dès 1986, il s'est stabilisé à environ 20%. L'ancienne statistique ne recensait toutefois pas tous les délits commis par des jeunes. Lorsque je présentais ces chiffres, on me disait que ce taux allait augmenter lorsque toutes les infractions seraient prises en compte. Or, la première statistique fédérale montre que le taux se situe l'an dernier à 18,4%. Il a même légèrement diminué alors que tous les délits sont désormais comptabilisés.

Ce taux mesure l'impact des jeunes dans la société. Le fait qu'il reste stable montre simplement que la proportion de mineurs par rapport à l'ensemble de la population n'a pas augmenté. De plus, le pic de la délinquance se situe entre 16 et 17 ans. Il est donc naturel que les infractions commises par des jeunes représentent une plus grande proportion que celles commises par les plus de 60 ans.

 

On ne peut pas comparer un détenteur de permis C à une personne qui n'a aucun statut en Suisse. Un migrant allemand travaillant à Zurich n'a pas la mêmeaperspective qu'un Somalien qui fuit son pays en guerre.

Est-il possible malgré tout de savoir comment a évolué la criminalité ces dernières années ?

Oui. Même si les anciennes statistiques sont incomplètes, nous avons de bons indicateurs. Les vols par effraction par exemple : ce sont des délits annoncés à la police dans environ 95% des cas. 72 000 ont été comptabilisés en 1982 contre 51 000 en 2009. Ces chiffres sont en baisse alors même que la population de la Suisse est passée de 6,3 à 7,7 millions d'habitants en trente ans.

Autre indicateur : l'évolution des homicides réalisés, meurtres et assassinats, impossibles à cacher. En 1982, on en compte 83, en 1990, 110, et en on dénombre 51 l'an dernier. Pourtant, les sondages révèlent que globalement, la population ressent une croissance du nombre de ces délits.

Pourquoi cette représentation biaisée ?

C'est en partie dû au battage médiatique. Corinne Rey-Bellet est sans doute morte des dizaines de fois dans les journaux et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Ce genre d'affaires est souvent traité sous forme de feuilleton. Durant une période, la presse a aussi passablement rapporté les méfaits de voleurs venus de Géorgie. Cela contribue certainement à surreprésenter le risque dans l'esprit des gens.

Les médias font-ils mal leur travail ?


Je ne veux pas faire leur procès. Les chiffres issus de ces statistiques sont très difficiles à appréhender. D'autre part, ce que les médias nous servent, c'est ce que nous demandons en tant que lecteurs. Plus le fait divers est sanglant et plus nous en sommes friands. C'est une logique économique que je respecte. Mais je trouve dommage que de l'information sérieuse sur l'évolution de la criminalité ne puisse pas contrebalancer l'effet d'angoisse produit chez les individus.

Finalement, cette statistique montre-t-elle que nous sommes dans un pays plutôt sûr ou plutôt dangereux ?


Plutôt sûr. Comme ces chiffres ne représentent qu'une photographie de l'activité criminelle durant l'année 2009, il faudra attendre les suivantes pour en comprendre l'évolution. Mais cette étude globale permet déjà d'avoir une typologie extrêmement précise des criminels et de leurs activités sur tout le territoire. Cette statistique fédérale servira de nouvelle base. Cela dit, je doute qu'elle ait une influence sur la mesure réelle de la sécurité dans l'esprit des gens.

Les anciennes statistiques montrent que durant les trente dernières années, c'est en 2000 que le moins d'infractions ont été recensées en Suisse. Pourtant, personne n'y a rien vu! Des fluctuations de plus ou moins 100 000 délits sont observés selon les années sans pour autant influencer le quotidien des professionnels ou le sentiment de sécurité de la population. Ce qui signifie probablement que le taux de criminalité est si bas qu'il n'est pas perceptible à l'échelle de la Suisse.

Une première!

Le 22 mars dernier, l'Office fédéral de la statistique (OFS) et l'Office fédéral de la police (Fedpol) ont présenté la première statistique globale sur la criminalité de l'histoire de Suisse. En 2009, 446500 affaires policières totalisant 676 309 infractions ont été enregistrées. La grande majorité des cas sont des infractions au Code pénal. Il s'agit le plus souvent de vols (247 626) et de dommages à la propriété (128 031).

Les infractions avec violence, au nombre de près de 50’000, forment environ 9% des infractions au Code pénal. Au total, il y a eu 51 homicides et 185 tentatives d'homicide. S'y ajoutent 524 cas de lésions corporelles graves et 666 viols. Environ 36% des prévenus pour infraction au code pénal sont étrangers, alors qu’ils représentent 22% de la population résidente en Suisse. Les prévenus de 10 à 18 ans (18,4%) sont également surreprésentés, puisqu’ils ne composent que le 10,6% de la population.