Quand un scientifique charge l'astrologie

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Quand un scientifique charge l'astrologie

1 juin 2010
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Jacques Neirynck DR Profession, menteur: le titre du dernier ouvrage de Jacques Neirynck annonce une charge lourde contre ceux qui tiennent le marché de l'astrologie. Elle l'est. Le scientifique en garde sous la semelle pour la classe politique, dont il fait partie! Mais c'est à la star française Elizabeth Teissier que le professeur lausannois réserve la palme de la mauvaise foi. Interview.

 

Samuel Ramuz: L'astrologie vous hérisse à ce point-là le poil?

Jacques Neirynck: Qu'il y ait une survivance de certaines superstitions, un ou deux druides égarés, ça rentre dans le folklore. Mais que le marché de l'astrologie génère un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros par an en France, c'est un fait de société ahurissant. Si même un journal aussi sérieux que le quotidien économique L'Agefi y succombe en Suisse romande...

S. R.: En quoi les dupes de l'astrologie constituent ce que vous appelez une tribu fossile? Pourquoi ne pourrait-on pas faire confiance à la technologie d'une part et, d'autre part, accorder du crédit à une pensée de type animiste? Une schizophrénie à petite dose ne tue pas...

J. N.: Les deux choses sont pour moi radicalement opposées. Comme scientifique, je dois préciser qu'à partir du XVIIe siècle, on construit la science moderne. Les premières lois de la physique qui sous-tendent le monde sont posées. Avant, dans l'Antiquité, dans les poèmes homériques par exemple, les héros sont soutenus par un dieu et attaqué par un autre. C'est une façon de voir le destin des hommes comme le conflit entre des divinités. En astrologie, la référence aux planètes et à leur prétendue influence est du même ordre. Or le polythéisme et le monothéisme portent chacun une vision du monde aux antipodes l'une de l'autre.

S. R.: Précisément, en quoi le monothéisme est-il une condition préalable au progrès scientifique?

J. N.: Quand Aristote essaie de construire sa physique, il distingue ce qu'il appelle la physique des Cieux, le domaine des dieux, et la physique de la Terre. Il n'arrive à rien. Il ne parvient pas à comprendre que la circulation des astres dans le ciel et la chute d'une pomme répondent à la même loi. C'est Newton, par ailleurs profondément religieux, qui la formalisera au XVIIe siècle. Vous ne pouvez pas construire une physique si vous ne partez pas de bonnes options métaphysiques. C'est le coeur de mon livre.

S.R.: C'est là que vous dites que le recours à un astrologue se présente plus comme une béquille psychologique qu'autre chose...

J.N.: Le dialogue que certains y trouvent est l'équivalent d'un entretien psychologique ou spirituel. Je leur conseille un psychologue convenablement formé, ou un pasteur, un prêtre, voire un moine. En fait, même lorsque vous croyez en un Dieu unique, des questions comme la mort ou la souffrance se posent de façon tellement dure, que certains contemporains gardent de petites enclaves de polythéisme pour se réconforter. Mais le monothéisme ne peut tolérer en son sein une inclusion archaïque de l'astrologie.

S. R.: Dès l'introduction de votre ouvrage, vous parlez de l'astrologie comme de «l'expression la plus voyante de la névrose sourde ravageant les couches instruites de la société». N'y allez-vous pas un peu fort?

J. N.: Je vous renvoie au débat Infrarouge de 2006 (ndlr: lire encadré). Les quatre témoins invités contre moi n'étaient pas des gens du peuple. Il y avait là un avocat, une femme médecin, un rédacteur en chef et un professeur d'Université. Que ces gens-là soient favorables à l'astrologie, je trouve ça extrêmement inquiétant.

S. R.: De là à parler de névrose...

J. N.: C'est est une. Les adeptes de l'astrologie ne regardent pas la réalité en face. Il faut commencer par accepter que la Terre tourne autour du soleil et non l'inverse.

S. R.: Quelle distinction opérez-vous entre divination et prophétie?

J. N.: Un prophète n'est rien d'autre qu'un porte-parole. Dans l'Ancien Testament, ils ne sont pas là pour faire de la divination, mais pour ramener le peuple d'Israël au culte de Yahvé. Ils le mettent en garde contre les dérives, contre des superstitions. En disant ce que je dis, je fais de la prophétie, et non de la divination.

S. R.: Vous écrivez aussi que l'Eglise a par moments trop réglementé l'usage de la prophétie, ce que vous appelez joliment la «transpiration de Dieu par les pores de l'Histoire». Vraiment?

J. N.: Dès l'apparition des facultés de théologie, on a assisté à une réglementation de la prise de parole dans l'Eglise. Il n'y a plus qu'une seule parole. La Réforme a été à cet égard une manière forte de refuser ce monolithisme. Mais à l'intérieur du catholicisme, c'est oppressant. Dès qu'un théologien fait son travail de chercheur et dérange - et je pourrais ici citer plusieurs exemples antérieurs au Suisse Hans Küng -, il est interdit d'enseignement. D'une certaine façon, ces gens sont des prophètes. On finit par leur donner raison, comme on a donné raison à Galilée, mais trop tard.

S. R.: Vous évoquez également le rôle de la divination en politique, notamment au Moyen Age où elle était utilisée pour compenser le déficit démocratique des détenteurs du pouvoir. De Nostradamus pour Catherine de Médicis à, pour faire un saut dans le temps, Elizabeth Teissier pour Mitterrand, quantités d'exemples jalonnent l'histoire. Que pouvez-vous dire de la situation suisse?

J. N.: Je ne connais personne parmi mes collègues qui consulte. Je donnerais son nom dans le cas inverse! Mon sentiment est que, en Suisse, avec un fort pouvoir délégué au peuple, l'angoisse du dirigeant est amoindrie par rapport aux systèmes français, ou américain, très personnalisés. Et où les dirigeants doivent s'appuyer sur des béquilles psychologiques.

S. R.: Vous mettez sur un pied d'égalité publicitaires, politiciens et voyants, tous obligés de recourir à une certaine forme de propagande pour justifier leur action, qu'elle qu'en soit la nature. N'y a-t-il pas là un abus de langage?

J. N.: Non, l'analogie est frappante entre publicitaires et politiciens. Les premiers vendent du rêve, pour autant que ça rapporte. Quant au politicien, son seul problème, c'est de se faire réélire. Il dit donc au peuple ce que le peuple a envie d'entendre. Lancer une initiative contre la construction de minarets va dans ce sens. A ce titre, la prise de position anti-burqa du président du PDC Christophe Darbellay (ndlr: le parti de Jacques Neirynck), même exprimée à titre personnel, pèse lourd.

S. R.: En fin d'ouvrage, vous affirmez, en écho au philosophe contemporain Hans Jonas, que le Dieu d'après Auschwitz ne répond plus aux prières. Le catholique pratiquant que vous êtes ne croit-il pas à la force de la prière et donc à une intervention de Dieu dans la société?

J. N.: Dieu n'est pas tout-puissant au point d'abolir les lois qu'il lui a même instaurées. C'est la conception Kadhafi du pouvoir! Je ne crois donc pas à la prière qui demanderait une suspension des lois naturelles. C'est une prière sacrilège. Autre chose est la prière comme démarche individuelle par laquelle on accepte son destin. Les prières de religieuses pendant la Deuxième Guerre, pour que les bombes tombent à côté du couvent, c'est du paganisme, de la superstition.

 

"Oui cette femme me hante"

Le professeur Neyrinck n'a pas encore digéré le débat Infrarouge qui l'avait confronté à Elizabeth Teissier, en 2006 sur la TSR. «Il n'y avait là que des témoins en sa faveur», regrette-t-il. Ensuite, le scientifique déplore que la journaliste n'ait pas mené les débats. «Madame Jean a commencé par donner la parole pendant 10 minutes à Madame Teissier. Et cela sans que je puisse aligner cinq phrases d'un bout à l'autre», se souvient Jacques Neirynck.

Dans son livre, 3 chapitres sont consacrés à l'astrologue française. Mais pourquoi diable lui accorder tant d'attention? «C'est elle qui occupe le plus de place dans la presse magazine ou quotidienne, en France aussi bien qu'en Suisse», note le politicien, qui pointe également la mauvaise foi de la star de l'astrologie.

 

Citation tronquée

Sur le fond, pour Jacques Neirynck, les prédictions de celle qui porte aussi le titre de Dr en sociologie de la Sorbonne ont tout l'air d'être précises mais sont en fait toujours pourvues d'échappatoires. «C'est une virtuose de la citation tronquée», s'exclame-t-il. Les menaces de plagiat des détracteurs proférées dans Le Matin Dimanche du 30 mai n'atteignent donc pas le professeur, qui estime avoir fait correctement son travail de journaliste en consultant plusieurs sources. Il avoue cependant que cette femme le hante. Il est loin d'être le seul.

 

  • Débat, jeudi soir, 19h, à l'Espace culturel des Terreaux, à Lausanne. Jacques Neirynck et l'éthicien Denis Müller seront confrontés au socialiste genevois René Longet. La discussion est animée par le journaliste Laurent Bonnard. Entrée gratuite.
  • Profession, menteur, Editions Favre, 160 pages.

    Cet article a été publié dans :

    Le quotidien genevois Le Courrier.