Georges Haldas a rendu son passeport

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Georges Haldas a rendu son passeport

1 novembre 2010
« Et j’ai noté ceci/dans mon petit carnet/il n’y a pas longtemps:/"Dans/un monde aujourd’hui/où désormais ne brille/que l’argent non l’aurore/Je le dis franchement/Je rends mon passeport"/Tu peux sourire Aurore/et néanmoins c’est vrai/Je sais que tu le sais/Ainsi soit-il Aurore/Je peux mourir en paix »


Chronique par Serge Molla

Georges Haldas vient de mourir, avec une discrétion et dans un silence qu’il souhaitait, analogues à ceux qui accompagnaient ses réflexions solitaires ces dernières années. Quoi qu’en diront ceux qui, dès maintenant, tenteront d’évaluer l’œuvre d’un homme qui consacra son existence à la lecture et l’écriture, Georges Haldas était un immense écrivain, ce qui jamais ne l’empêcha. de se préoccuper du « bruit et de la fureur du monde ». Bien au contraire, tant cet homme était constamment à l’écoute de ce qui fait et défait l’humain.

Il vivait depuis fort longtemps – toujours – en Etat de poésie, tendu dans le désir d’être seulement, mais pleinement, l’agent de ce qui passait par lui et qu’il ne cherchait qu’à traduire fidèlement. C’est pourquoi il délaissa les récits de fiction pour traduire les poèmes qui montaient en lui et s’attacher à une lecture du monde et des êtres, au travers d’innombrables articles, chroniques et notations journalières qui forment la matière de ses Carnets. Mais que l’on ne s’y trompe pas : ceux-ci (ses Carnets) sont avant tout l’expression d’une vie intérieure, et non pas l’exposition d’une vie privée qui flatterait le voyeurisme du lecteur.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : ceux-ci sont avant tout l’expression d’une vie intérieure, et non pas l’exposition d’une vie privée qui flatterait le voyeurisme du lecteur. Leur lecture conduit dès lors à déserter les voies du divertissement pour emprunter des sentiers d’arête. Notes et aphorismes y invitent à grandir au plus profond, alors que les poèmes appellent davantage à sentir. Mais tous ses écrits, ce ne sont que « des mots qui viennent, disait-il, de l’Autre en moi ».

Bien sûr, Haldas parlait aussi de lui-même dans ses notes quotidiennes, d’ailleurs les titres retenus de ses Carnets – Nomade immobile, Paysan du ciel, Paroles du scribe … –  dessinent au lecteur attentif un fin autoportrait de l’auteur attentif aux Minutes heureuses (en faisant sienne une expression de Baudelaire) ou recueillant Le Pollen du temps. Cependant, c’était à chaque fois le même désir de parler de la vie, en lui et autour de lui, et d’explorer le « mystère incroyable de la réalité ».

Au-delà du football, tant aimé (lorsque l’argent n’y jouait pas le rôle que l’on sait), des œuvres littéraires célébrées (russes, italiennes et espagnoles), des poètes lus et relus (Cavafy, Trakl, Baudelaire…), au-delà de ses propres poèmes et de ses chroniques que l’on ne manquera pas de goûter encore, Haldas ne cessa de sonder encore et toujours l’humain et sa destinée. Loin de toute bondieuserie et de toute affiliation partisane – Eglise ou Parti –, sa quête le conduisit à écouter le Christ bousculer la vie, la mort, la résurrection. Haldas faisait œuvre de mémoire, non pas en amassant des souvenirs utiles à l’historien, mais en offrant la vision d’un être sensible aux courants des grands fonds.

Face au surdéveloppement de l’ego et au désir de puissance, le poète rappela avec insistance jusqu’au dernier jour sa conviction profonde: « Il ne faut rien vouloir que l’ombre et le silence/Il ne faut rien attendre/Il faut laisser la nuit sur nos linceuls s’étendre/Il faut laisser les mots renaître sous la cendre. »  C’étaient là les mots d’un résistant à l’éphémère, d’un opposé au terre-à-terre, d’un combattant du relatif,  d’un rebelle à tout ce qui fait écran à l’essentiel.

Tout poème est un débris de l’ineffable.

En 2005, il publie ses Sept piliers de l’Etat de poésie, dictés par plus de cinquante ans d’expérience poétique, avec un avertissement à son lecteur: « Tout poème est un débris de l’ineffable ». L’écart à ses yeux était donc abyssal entre ce qui a été ressenti et ce que les mots, pris dans l’espace et le temps, ont traduit : misérable est donc de l’œuvre livrée pour son auteur, même s’il en va tout autrement pour son lecteur.

Les mots sont porteurs de l’ineffable, ils témoignent de quelque chose qui dépasse les quelques lettres qui les forment, et c’est pourquoi leur valeur est si grande. L’aphorisme cité fait de l’écrivain un témoin, dont le témoignage est aussi nécessaire que fragile, surtout au moment où le désert social et intime gagne du terrain.  Autant dire qu’il est des écrits qu’il est urgent de lire et relire,  tels ceux de Georges Haldas, que nous reprendrons. Avec une très vive reconnaissance.

A Lire