Le danger et l'innocuité du voile

Etudiantes afghanes à Kaboul en 1972 / DR
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Etudiantes afghanes à Kaboul en 1972
DR

Le danger et l'innocuité du voile

14 juin 2011
La renaissance du voile islamique était au départ une manifestation identitaire. Mais, dans les pays musulmans, le voile a rapidement été récupéré par des réactionnaires considérant que l'hostilité envers l'égalité des sexes est une manière de s'opposer à la domination occidentale.

La renaissance du voile islamique était au départ une manifestation identitaire. Mais, dans les pays musulmans, le voile a rapidement été récupéré par des réactionnaires considérant que l'hostilité envers l'égalité des sexes est une manière de s'opposer à la domination occidentale. Telle est la thèse exposée par Leila Ahmed, sociologue d'origine égyptienne qui enseigne à la faculté de théologie de l'Université Harvard, dans son livre A Quiet Revolution, The Veil's Resurgence from the Middle East to America*. La Presse** s'est entretenue avec Mme Ahmed.


La Presse : Comment avez-vous eu l'idée de votre livre?
Leila Ahmed : C'était il y a 10 ans. Je marchais dans Cambridge Commons avec une amie, une féministe arabe. Nous avons vu un groupe de femmes voilées qui discutaient. Ce n'était pas une manif, mais elles étaient nombreuses. Nous avons toutes deux fait des commentaires négatifs à l'égard de ces jeunes femmes. Quand j'étais petite, au Caire dans les années 40, le voile était rare et inexistant dans les quartiers riches. Les Occidentaux pensent que la disparition du voile dans les pays musulmans a été un phénomène très bref, dans les années 60. C'est faux. Dans les villes, il a progressivement disparu au fil du XXe siècle, au point où, dans les années 50, les sociologues s'attendaient à ce que ce soit pour de bon.

La Presse : Que signifie ce retour du voile?

Leila Ahmed : En ce moment, dans les pays musulmans, c'est le signe d'un fondamentalisme de plus en plus puissant et militant. Mais c'est aussi le signe d'une transformation de l'islam. Dans les années 70, quand le voile a recommencé à être porté, c'était le fait de jeunes femmes radicales et militantes. Elles faisaient face à l'hostilité de leurs professeurs, de leurs parents.
Elles utilisaient l'islam pour s'insurger contre une réalité politique inacceptable, qui était associée à la modernité apportée par l'Occident. Une fois que le voile est devenu acceptable, il est devenu attirant pour les femmes qui étaient victimes de la promiscuité dans les lieux publics surpeuplés et des avances insistantes des hommes.
Dans un troisième temps, dans les années 80, on a commencé à voir des pressions sur les femmes qui ne portaient plus le voile. On voit aussi un changement dans les discours des islamistes qui, au départ, encourageaient les femmes à se rebeller, et qui, maintenant, mettent l'accent sur les responsabilités conjugales et familiales des femmes, que la carrière ne doit pas entraver.


La Presse : Et aux États-Unis?
Leila Ahmed : Au début de mes recherches, j'étais renversée d'entendre les commentaires de certaines musulmanes voilées que je rencontrais. Elles m'expliquaient que le voile était une manière de se soustraire à la discrimination sexuelle qui oblige les femmes à s'habiller sexy. Ou encore elles me disaient que c'était l'équivalent de la kippa que portent les juifs pour montrer leur droit à exister, face à la discrimination des chrétiens.
Mais petit à petit, j'en suis venue à penser que le retour du voile chez les musulmanes américaines est dû à un environnement démocratique qui croit en l'égalité des sexes. C'est une continuation de la lutte pour les droits des minorités, des Noirs, des femmes, des homosexuels. Ici, on parle d'une minorité de femmes musulmanes qui choisissent de porter le voile. Il faut dire que les attentats du 11 septembre 2001 ont eu un impact important sur la perception du public envers les femmes voilées. Beaucoup ont cessé de porter le voile de peur d'être ostracisées.

La Presse : Dans votre livre, vous évoquez un paradoxe: alors que les jeunes musulmanes sont plus nombreuses à se voiler aux États-Unis, les associations musulmanes semblent noyautées par des partisanes de l'égalité des sexes.
Leila Ahmed : Quand j'ai assisté aux premières réunions des associations musulmanes américaines, dans les années 60, j'étais mal à l'aise si je n'étais pas voilée. Il y avait deux entrées, l'une pour les femmes et l'autre pour les hommes et la ségrégation était strictement respectée. Maintenant, ce n'est plus le cas.
Je ne me sens plus comme une extraterrestre parce que je ne porte pas le voile. Des femmes font maintenant partie des comités de direction. Plusieurs font campagne pour que les espaces réservés aux femmes et aux hommes dans les mosquées soient de qualité équivalente. L'atmosphère politique américaine n'est pas favorable aux hommes qui veulent contrôler les femmes.
La Presse : Pensez-vous que les sociétés occidentales doivent offrir des «accommodements raisonnables» aux musulmanes qui veulent être vues par des professionnels de la santé féminins plutôt que masculins à l'hôpital, qui ne veulent pas enlever leur niqab pour obtenir des services publics ou qui refusent d'avoir des professeurs masculins à l'école ou un examinateur masculin à l'examen de conduite?
Leila Ahmed : Pour ce qui est d'être vues par des médecins femmes, c'est normal, c'est d'ailleurs une cause féministe occidentale importante. Pour ce qui est des services publics, s'il y a une question de sécurité, par exemple être reconnue sur une carte d'identité avec photo à l'aéroport, il n'y a pas d'accommodement possible. Pour ce qui est des professeurs et des examinateurs, je pense qu'une femme a le droit de ne pas se retrouver seule en présence d'un homme. Mais s'il y a d'autres personnes dans le même endroit, il ne devrait pas y avoir de demande spéciale.

La Presse : Les États occidentaux doivent-ils accepter que des parents forcent leurs filles à porter le voile en public, à l'école?
Leila Ahmed : Tant qu'il n'y a pas de crime, je ne vois pas comment on peut justifier une ingérence dans l'éducation des enfants. Nous ne sommes pas une société qui favorise les restrictions indues, mais nous permettons à certains parents de ne pas envoyer leurs enfants à l'école et d'enseigner le créationnisme à leurs enfants.

La Presse : Qu'en est-il du niqab?
Leila Ahmed : C'est très rare dans les sociétés occidentales. Il est intolérable que le niqab soit imposé aux femmes, par exemple en Arabie Saoudite. Mais ici, à moins de motifs de sécurité, je ne vois pas pourquoi on s'en formaliserait. C'est une décision très personnelle.
Des musulmanes m'ont parlé du sentiment de piété que le niqab leur procurait, d'isolement spirituel. Une collègue, Karen Armstrong, a fait un parallèle avec le voile qu'elle portait quand elle était une religieuse catholique qui lui donnait l'impression que seul Dieu voyait son visage.

La Presse : La résurgence du voile dans les pays musulmans peut-elle être vue comme une résistance à une modernisation forcée?
Leila Ahmed : Il est certain que plusieurs des pays musulmans n'ont pas réussi à s'adapter à la modernité. Mais c'est en grande partie à cause de la dictature, celle de Nasser en Égypte par exemple, qui a tué une démocratie naissante. Le gouvernement n'est plus redevable à la population et les élites gardent tout pour elles.
On a vu dans le printemps arabe que les populations sont davantage opposées à la corruption et à la dictature plutôt qu'à la modernité. Je n'ai jamais vu de révolutionnaires qui nettoyaient la rue après les manifs, comme en Égypte.

La Presse : Votre thèse s'appuie surtout sur votre analyse de l'évolution de la popularité du voile en Égypte et sur le rôle des Frères musulmans dans sa promotion. Pensez-vous qu'ils instaureront une police morale comme en Iran ou à Gaza s'ils gagnent les élections?

Leila Ahmed : Les Frères musulmans ont 80 ans. Ils regroupent des millions de personnes qui ont beaucoup de débats entre eux. C'est sûr que si certains éléments des Frères musulmans en prennent le contrôle, ça pourrait être effrayant. Mais je ne peux présumer que c'est une organisation pire que les autres.

La Presse : Une sociologue montréalaise d'origine iranienne, Roksana Bahramitash, affirme que l'imposition du voile a été bénéfique pour les Iraniennes, car cela a permis aux femmes des milieux pauvres et ruraux de participer à la vie publique. Qu'en pensez-vous?
Leila Ahmed : C'est vrai, le voile a rendu les femmes plus libres dans leurs interactions en public en Égypte. Elles peuvent plus facilement faire valoir leurs idées au lieu de subir la discrimination des hommes. Le voile avait pratiquement disparu quand j'étais jeune, mais le sexisme était toujours présent.
Aux États-Unis, les femmes ont réussi à faire valoir leurs idées sans se voiler. Dans les pays musulmans, elles se sont servies du voile pour y arriver. Mais je ne peux pas accepter qu'on impose le voile par des lois ou même par une pression sociale. Porter le voile doit être un choix personnel pour prendre toute sa signification.

 

 


* Une Révolution tranquille. La résurgence du voile du Moyen-Orient à l'Amérique.

** La Presse est un journal canadien francophone, publié à Montréal et on line sur www.cyberpresse.ca

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