La FEPS et les renvois forcés de l’ODM : Une décision problématique concernant un dilemme difficile

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La FEPS et les renvois forcés de l’ODM : Une décision problématique concernant un dilemme difficile

Pierre Bühler
13 juillet 2011
À la mi-juin, quelques jours avant le dimanche des réfugiés, un communiqué de presse en provenance de Berne a provoqué une vague d’étonnement: la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) annonçait qu’elle avait accepté le mandat de l’Office fédéral des migrations (ODM) « d’assurer le contrôle de l’exécution des renvois en vertu de la législation sur les étrangers » et qu’elle serait secondée dans cette tâche par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).


Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Cette mission consiste à observer et à contrôler les vols spéciaux organisés par l’ODM pour les renvois forcés de requérants d’asile déboutés, afin de veiller à ce que « ces opérations menées par l’État soient légales et appropriées », qu’elles respectent les droits fondamentaux.

InquiétudesUne communication interne aux réseaux de l’OSAR, parue simultanément, donne plus de détails. Elle souligne qu’un tel accompagnement favorise la transparence, qu’elle peut „avoir un effet de dédramatisation et d’apaisement“ et contribuer „à éviter des débordements et des violences inutiles“. Elle accentue également que l’accomplissement de cette tâche n’implique „aucunement que l’on acquiesce au renvoi en question, ni à l’application de la force ».

Inquiétudes

C’est à ce point précis que commencent mes inquiétudes. Au moins l’OSAR évoque brièvement le dilemme; dans le communiqué de presse de la FEPS, il est passé sous silence, comme s’il n’existait pas. Certes, on peut dire que les renvois forcés existent et qu’au vu de la politique d’asile actuelle de la Suisse, il est réaliste de considérer qu’ils continueront à se faire. Sous cet angle, le contrôle assumé par la FEPS peut être compris comme un service sensé et important.

Considérés à partir de ce présupposé, les arguments de l’OSAR sont convaincants : « De même qu’un aumônier de prison ne légitime pas la prison par son travail, l’observation d’un renvoi forcé ne légitime pas ce renvoi forcé. » Comme il faut des prisons, il faut aussi des renvois forcés, et dans ce cas, il est bon qu’ils soient surveillés.

Ces renvois forcés sont-ils vraiment nécessaires?

Mais ces renvois forcés sont-ils vraiment nécessaires? Pour des sommes monstrueuses, avec lesquelles on pourrait financer de nombreux projets d’intégration, on organise des vols spéciaux refoulant quelques humains désespérés dans une situation impossible qu’ils vont fuir au plus vite, s’ils ne se font pas arrêter sur le champ.

À l’occasion de tels renvois forcés, il y a déjà eu des décès, par terreur ou par application de la violence – ou les deux à la fois. Il ne saurait guère être question de dignité humaine. C’est pourquoi la photo que l’on peut voir sur le site Internet de la FEPS en lien avec le communiqué de presse constitue un véritable sarcasme : de beaux sièges, propres et vides, dans un avion agréablement éclairé.

Il eut été plus honnête de présenter la réalité : un homme y est assis, bâillonné, pieds et poings ficelés, muni de pampers pour ne pas déranger le vol par ses besoins naturels… Parlez-moi de dignité humaine !

Y a-t-il à la FEPS une véritable conscience du dilemme ?

Y a-t-il à la FEPS une véritable conscience du dilemme ? Pourquoi n’est-il nulle part thématisé ? La décision est-elle aussi propre et feutrée que les fauteuils d’avion de la photo ? Comment a-t-elle été prise ? Le Conseil de la FEPS a-t-il demandé conseil à l’Institut de théologie et d’éthique sur les enjeux éthiques ? Pourquoi le Conseil, qui sinon aime tellement organiser des consultations sur toutes sortes de thèmes, n’en a-t-il pas lancé une sur ce sujet ?

Y a-t-il eu des contacts avec des collaboratrices et collaborateurs d’organismes ecclésiaux qui travaillent au quotidien avec des requérants d’asile et des réfugiés ? Y a-t-il eu des échanges avec les autres autorités ecclésiales, par exemple la Conférence des évêques suisses ? Mais avant tout : le Conseil a-t-il réfléchi, un instant au moins, à la possibilité de dire : Non, on ne peut parler de dignité humaine et de droits fondamentaux dans les renvois forcés et, en guise de protestation, nous n’assumons pas ce contrôle, parce que nous ne voulons pas légitimer les renvois forcés par notre collaboration.

Légitimer les renvois forcés?

Je l’avoue, ce sont beaucoup de questions ouvertes. Mais c’est peut-être bien la tâche du théologien que de poser les questions tues par les autorités ecclésiales, surtout quand il s’agit d’un dilemme aussi difficile. Mes questions reposent sur une grande crainte, cela aussi, je l’avoue. Je crains que la décision ne fut prise d’en haut, sans grand effort de chercher le dialogue avec les organismes et œuvres d’entraide qui travaillent concrètement avec des requérants d’asile et des réfugiés.

Je crains que la décision ne fut prise en faisant cavalier seul. Je crains que la FEPS, après avoir été « Aux côtés des réfugiés » (c’était l’intitulé de la déclaration des Églises de 1985), ne soit maintenant de plus en plus aux côtés des autorités, acquiesçant à leur démantèlement systématique de la loi sur l’asile.

Mais je suis prêt à me laisser instruire...

  • Renvois forcés : un autre protestant s'indigne. Pierre Bühler n'est pas le seul protestant à ne pas comprendre la décision de la FEPS. Yves Brutsch, ex-porte-parole pour les questions d'asile au Centre social protestant de Genève et l'une des chevilles ouvrières de l'Observatoire du droit d'asile et des étrangers lancé en 2006, ne décolère pas. Lire son texte.
  • Le texte de Pierre Bühler a été publié dans l'hebdomadaire alémanique reformierte presse le vendredi 8 juillet.

Premier vol depuis un an

Jeudi 7 juillet, le premier avion spécial depuis la mort d'un Nigérian le 17 mars 2010 a décollé de l'aéroport de Zurich à l'instigation de l’Office fédéral des migrations, a-t-on lu dans la presse. Vingt-et-un requérants d'asile déboutés ont ainsi été explusés de force vers le Nigéria. Tous avaient refusé de prendre un avion de ligne.

Des images de la chaîne alémanique SF1 ont montré que tous sont montés à bord sans rechigner sauf un. Les Nigérians portent des menottes aux mains mais marchent librement. Depuis le décès de leur compatriote, la Suisse ne peut plus les ligoter entièrement. La tension monte et l'homme qui ne veut pas monter à bord est frappé.

Alors que ces vols sont censés être accompagnés depuis peu par la Fédération des Eglises protestantes, celle-ci n’était pas mandatée. Et les deux membres de la Commission de prévention de la torture appelés quelques jours avant pour suivre l’expulsion sont arrivés trop tard.

« Ils sont arrivés lorsque les Nigérians étaient dans l’avion», a déclaré dans la presse Jean-Pierre Restellini, président de la Commission nationale de prévention de la torture. Des représentants de cette commission ont accompagé certains vols spéciaux jusqu'ici. (tb)