Cinq concepts religieux que les athées peuvent utiliser

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Cinq concepts religieux que les athées peuvent utiliser

Alain de Botton
21 mars 2012
La question la plus ennuyeuse qu'on puisse poser sur la religion est probablement de savoir si tout cela est «vrai»
Ces derniers temps, malheureusement, les débats publics sur la religion font une fixation sur cette question précise, avec d'un côté une poignée de croyants exaltés et de l'autre un groupe tout aussi restreint d'athées fanatiques.

*, Huffington Post

Mon approche est quelque peu différente. Dans mon esprit, bien sûr, aucun élément de la religion n'est vrai, dans le sens qu'il serait un don de Dieu.

Ce qui importe n'est pas de savoir si Dieu existe ou non mais de savoir où mener le débat dès lors qu'on a conclu qu'il est bien évident qu'il n'existe pas.

Je pense qu'il est possible de demeurer un athée convaincu tout en trouvant néanmoins les religions sporadiquement utiles, intéressantes et réconfortantes, et en faisant preuve de curiosité à l'égard de certaines de leurs idées et pratiques qui pourraient être importées dans le monde laïque.

Dans un monde assailli par des fondamentalistes – qu'ils soient croyants ou athées – il doit être possible de trouver un équilibre entre le rejet de la croyance religieuse et un respect sélectif à l'égard des rituels et concepts religieux. L'erreur de l'athéisme moderne a été de perdre de vue qu'un grand nombre d'aspects des religions restent d'actualité, même après le rejet de leurs préceptes fondamentaux.

Dès lors qu'on cesse de penser qu'on doit soit se prosterner devant elles soit les dénigrer, on est libre de voir les religions comme une mine de concepts parfois ingénieux, par lesquels on peut tenter de soulager quelques-uns des maux les plus tenaces et négligés de la vie laïque.

En voici cinq:

Education

Les religions sont d'une efficacité suprême en matière d'éducation, parce qu'elles savent que nous oublions tout. Elles sont fondées sur la répétition, les rappels, les oraisons et les calendriers. Elles créent des rendez-vous pour que nous puissions revenir sur les idées les plus importantes. À chaque jour son programme spirituel.

Dans le monde laïque, on pense qu'on peut envoyer un individu à l'école ou à l'université pendant quelques années pour lui inculquer des connaissances qui le suivront pendant quarante ans. Or ce n'est pas le cas. Nos esprits sont des tamis, et pourtant nous considérons injustement qu'en nous faisant répéter des choses, on nous étouffe.

Les calendriers juif ou catholique sont des chefs-d’œuvre de synchronisation: chaque journée nous ramène à une idée importante. On peut être amené à répéter les vérités importantes quatre à huit fois par jour.

Esprit et corps

Les religions tiennent compte du fait que nous avons un corps, et c'est pourquoi elles intègrent à leurs enseignements des pratiques physiques. Dans le bouddhisme zen, on ne se contente pas d'écouter des sermons: on prend part à une cérémonie du thé, où la consommation d'une boisson étaye une leçon philosophique.

Dans le judaïsme, on expie ses fautes en se plongeant dans un mikveh, un bain, afin de «se purifier». Ainsi les religions semblent-elles savoir que si l'on veut atteindre l'esprit, il faut reconnaître le rôle prépondérant du corps et des émotions sur nous.

Communauté

Le monde laïque ne manque pas de bars et de restaurants, mais nous avons de terribles lacunes pour ce qui est des moyens ordinaires permettant de transformer les étrangers en amis. Nous avons tous fait l'expérience d'une fête où les gens ne se parlent pas tant que l'hôte n'a pas fait les présentations.

Les religions fonctionnent comme des hôtes: leurs édifices et rituels nous permettent d'exprimer notre sociabilité latente masquée par des dehors froids. En outre, contrairement à Facebook, elles ne nous présentent pas seulement des gens avec lesquels nous avons déjà des choses en commun. Elles vont parfois même jusqu'à nous mettre face à l'Autre et aident à montrer que l'humanité réside en chacun de nous.

Art et musées

Le christianisme ne laisse aucun doute quant à l'utilité de l'art: il s'agit d'un moyen pour nous apprendre comment vivre, ce qu'il faut aimer et ce qu'il faut craindre. Aussi simple que soit l'objectif de ce type d'art, son exécution peut atteindre des niveaux élevés de complexité et de subtilité (par exemple, Le Titien).

L'art chrétien, c'est un vaste ensemble de génies disant des choses aussi basiques que cruciales, comme: «Regardez ce tableau de Marie si vous voulez vous rappeler ce qu'est la tendresse». «Regardez cette peinture de la croix si vous voulez une leçon de courage». «Regardez cette Cène pour vous apprendre à ne pas être un traître et un menteur».

Ce qui est essentiel, c'est que la simplicité du message ne préjuge en rien de la qualité du travail lui-même en tant qu’œuvre d'art. Au lieu de dénoncer l'instrumentalisation en désignant le cas de l'art soviétique, on pourrait la justifier de manière encore plus convaincante en évoquant Mantegna et Bellini.

Cela nous amène à cette suggestion: et si les musées d'art d'aujourd'hui s'inspiraient de l'exemple de la fonction didactique de l'art chrétien, afin de pouvoir de temps à autres recadrer la façon dont ils présentent leurs collections? Cela gâcherait-il un Rothko que de mettre en valeur aux yeux du public la fonction que Rothko lui-même espérait donner à son art: celle de permettre au spectateur de parvenir à un moment de communion autour d'un écho de la souffrance de notre espèce?

Pèlerinages

Les religions manifestent un niveau surprenant de sympathie pour notre aspiration à voyager. Elles acceptent le fait que nous ne pouvons pas tout réussir en restant chez nous. Néanmoins, contrairement aux laïcs, les religieux se distinguent par leur refus de voir le voyage comme quelque chose de simple ne nécessitant aucun effort.

Ils insistent farouchement sur la profonde gravité de tout voyage et canalisent l'impulsion de partir en une myriade de rituels dont l'examen pourrait nous inciter à réfléchir à nos propres habitudes et modifier radicalement nos choix quant à notre destination et notre façon de voyager la prochaine fois que nous partirons. Nous souhaitons tous que le voyage nous change et les religions exaucent dûment ce souhait.

Les athées doivent sauver une partie de ce qui est beau, touchant et sage dans tout ce qui ne semble plus être vrai. Un grand nombre de solutions institutionnelles aux maux de l'âme mis en avant par les religions sont prêtes à se laisser dépouiller des structures surnaturelles dans lesquelles elles ont vu le jour, sans pour autant perdre de leur valeur ni de leur intérêt.

La sagesse des religions appartient à l'ensemble de l'humanité, même aux plus rationnels d'entre nous, et mérite d'être en partie assimilée par les plus grands ennemis du surnaturel. Les religions sont occasionnellement trop utiles, efficaces et intelligentes pour être abandonnées aux seuls religieux.

Alain de Botton

  • Alain de Botton vient de publier en anglais Une religion pour les athées, dont la version française sort le 21 mars chez Flammarion (Titre français: Petit guide des religions à l'usage des mécréants). Il a aimablement autorisé ProtestInfo via Twitter à traduire une chronique qu'il a publiée sur le blog du Huffington Post.
  • Alain de Botton est un journaliste et écrivain suisse, né à Zurich le 20 décembre 1969. Il vit à Londres depuis l'âge de huit ans. Il a écrit plusieurs romans, en anglais, traduits en vingt langues. On peut citer Petite philosophie de l'amour, Comment Proust peut changer votre vie et The Consolations of Philosophy.

  • Alain de Botton s'exprime sur TED .
  • Le sujet a fait l'objet d'un Juste Ciel sur RTS La Première mercredi 21 mars.