L’habit fait-il vraiment une nonne ?

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L’habit fait-il vraiment une nonne ?

Muriel Schmid
25 avril 2012
Il y a deux mois exactement, je participais à une conférence sur le thème religion, spiritualité et société. L’une des présentations à laquelle j’ai assisté était donnée par une psychologue de Sydney, Megan Brock qui parlait de la relation de pouvoir et de contrôle établie entre la hiérarchie catholique et les religieuses de divers ordres.

Elle-même sœur de l’ordre de Saint Joseph, Megan Brock a illustré son propos avec des photos d’elle en habit de religieuse durant les longues années de sa profession ; on y voyait d’une décennie à l’autre l’émergence d’une nonne qui se libérait petit à petit du lourd carcan de son habit : aujourd’hui, les sœurs de Saint Joseph, comme de nombreuses autres sœurs catholiques, ne se distinguent absolument pas du reste de la gente féminine. L’habit ne fait plus le moine ni la nonne en l’occurrence !

La distance géographique qui existe entre le Vatican et les ordres religieux en Australie est en partie responsable de cette liberté ; il en est de même aux Etats-Unis, mais le Vatican, cette fois, s’insurge et décide de sévir. En effet, la semaine dernière, le Vatican a chargé l’un de ses archevêques, Monseigneur Peter Sartain de l’Etat d’Oregon, de remettre à l’ordre (littéralement) The Leadership Conference of Women Religious (conférence des femmes religieuses) qui, selon les vues du Vatican, représente une sérieuse menace pour l’Eglise catholique. Porte-à-faux avec la hiérarchie

Le principal tort de cette organisation est de ne pas prêcher ouvertement la doctrine catholique officielle concernant le mariage homosexuel, l’avortement ou encore la prêtrise réservée aux hommes, pour se concentrer en lieu et place sur les questions de justice sociale. Fondée en 1956, cette organisation représente aujourd’hui le 80% des nonnes américaines et affiche régulièrement des positions quelque peu contraires à celles promulguées par la hiérarchie catholique.

En particulier, dès 2010, l’organisation s’est révélée être un soutien stratégiquement important pour le programme d’assurance maladie mis en place par Obama. L’opposition au projet Obama est devenue de plus en plus forte du côté des évêques américains ; le Vatican leur donne ainsi raison en étouffant les avis catholiques divergents. Nombreux sont évidemment les journalistes et chrétiens de toutes dénominations qui s’étonnent et se scandalisent de cette intervention massive contre les femmes catholiques américaines, alors que les prêtres s’en vont impunis de crimes bien sordides.

Cette attaque fait partie d’une série d’initiatives qui cherchent à contrôler les femmes catholiques américaines ; en mars dernier, le dernier livre de la théologienne de renom, Elizabeth Johnson, a été interdit par le Vatican. Cette tentative de contrôle peut s’expliquer de diverses façons, mais deux éléments ressortent des analyses. Tout d’abord, le nombre de religieuses américaines dépassent celui des prêtres catholiques (les chiffres indiquent 56 000 religieuses contre environ 31 000 prêtres) ; ce déséquilibre inquiète, d’autant plus si les religieuses ne prennent pas le relais dans la transmission de la doctrine officielle.

Les libertés des nonnes américaines pourraient avoir des ramifications et créer des vagues de contestation sur d’autres continents où l’Église catholique se doit de défendre son identité...

Deuxièmement, les libertés des nonnes américaines pourraient avoir des ramifications et créer des vagues de contestation sur d’autres continents où l’Eglise catholique se doit de défendre son identité. Mais à l’heure des médias sociaux, l’effet tache d’huile va peut-être aller à l’encontre des prévisions du Vatican ; en effet, internet est déjà envahi de diverses voix qui affirment leur soutien à l’égard des nonnes ; parmi elles une figure importante des médias catholiques américains, le prêtre jésuite James Martin, a lancé une campagne Twitter pour défendre le travail des religieuses.

Vie de sacrificie et de service

Selon les recherches de Megan Brock, les documents officiels de l’Eglise catholique définissent les nonnes de manière unilatérale : elles sont appelées par Dieu à une vie de sacrifice et de service ; la voix passive étant centrale dans la représentation de cette vocation féminine. Cependant, loin de l’emprise du Vatican, les nonnes ont su s’affirmer et trouver une voix propre qui ose se distancer de l’autorité ou qui, du moins, revendique un droit à la parole.

Le cas actuel des religieuses américaines fait partie de la longue histoire des femmes catholiques qui oscille entre soumission et résistance. Elles incarnent pourtant, me semble-t-il, une lutte bien plus large et bien plus longue encore qui touche à la définition de la foi chrétienne elle-même : la foi chrétienne dépend-elle de sa stabilité doctrinale et de l’autorité de sa hiérarchie ou dépend-elle davantage de son engagement social et des valeurs de service à l’égard du pauvre et de l’opprimé?

Dans l’Eglise catholique, le premier de ces deux ministères est presque exclusivement exercé par les hommes, alors que l’autre est conduit par les femmes. Le Vatican, en attaquant les religieuses américaines, choisit clairement le premier contre le second. Nombreuses sont les nonnes, loin du Vatican, qui ont renoncé à l’habit au sens propre du terme ; un geste symbolique de libération face à la tradition et une affirmation claire que cet habit ne suffit pas à faire la nonne !

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