L'humanitaire les mains vides

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L'humanitaire les mains vides

Anne-Sylvie Mariéthoz
8 août 2012
L'ONG internationale Point-Cœur forme et envoie des jeunes volontaires dans les quartiers les plus démunis de villes d'Amérique du Sud, d'Asie ou d'Europe. Reportage à Deva, en Roumanie, sur les traces d'une Valaisanne de 20 ans.
(photos A.-S. M.)

Les cheminées de la thermocentrale barrent l’horizon du petit village de Mintia (Transylvanie). Comme beaucoup d’usines héritées de l’ère communiste, elle n’occupe plus qu’une petite partie du personnel employé autrefois. Mais les tsiganes, forcés d’y travailler à l’époque, habitent encore les baraquements ouvriers. Cent fois transformés avec des moyens de fortune, ces abris offrent une image de bric-à-brac insolite, qui contraste avec les maisons du village.

Une quinzaine d’enfants en sortent et se précipitent dans les bras des visiteuses. Martha, Emilie et les deux Marie sont accueillies avec chaleur par les gamins, qui n’attendent visiblement rien d’autre qu’une bonne partie de jeux avec « les filles françaises », comme on les appelle ici.

Ceux qu'on préfère ignorer

Elles sont toutes les quatre engagées comme bénévoles dans l’ONG internationale Point-Cœur (lire ci-dessous) et partagent une modeste maisonnette à Deva, une ville de 70 000 habitants à forte minorité hongroise, située à l’ouest du pays. Il s’agit d'« être au cœur des quartiers les plus pauvres, là où personne ne veut aller, où vivent les gens qu’on évite d'habitude », explique Marie Maret, jeune Valaisanne qui achève bientôt son séjour de deux ans en Roumanie.

A Deva, les journées sont rythmées par l’accueil et la prière à domicile, dans une petite pièce réservée à cet effet. Sauf les après-midis où les volontaires rendent elles-mêmes visite à leurs connaissances de la ville et des villages alentours, leur maison est toujours ouverte. « Certains enfants du quartier viennent depuis qu’ils savent marcher », confie la jeune Valaisanne, en saluant un groupe de bambins qui jouent devant le portail de leur habitation, d’où s’échappe un joyeux tintamarre de bassecour.

Il s’agit d’une famille tsigane installée dans un quartier hongrois de la ville. Comment se passe la cohabitation? La moue de Marie laisse entendre qu’elle n’est pas des plus harmonieuses. C’est une tribu assez bruyante, avec beaucoup d’enfants, des animaux en liberté, des activités pas toujours bien identifiées, que les voisins tolèrent moyennement.

« L'argent fausse l'amitié »


Selon les principes de Point-Cœur, les volontaires auraient dû vivre près d'une communauté tsigane, sans doute celle qui connaît la plus grande pauvreté. « Mais jamais les Roumains ou les Hongrois ne seraient venus chez si nous nous étions installées dans un quartier tsigane, explique Marie. C’est une communauté vraiment à part, qui a ses propres règles, un monde en soi. »

Si elles rendent volontiers toutes sortes de services à leurs connaissances, jamais leurs relations ne passent par l’argent.

Les volontaires de Point-Coeur à Deva sont néanmoins parvenues à tisser des liens avec beaucoup d’entre eux, sans oublier les familles roumaines ou hongroises, les « tantis » (personnes âgées) et les enfants de tous bords – dont ceux scolarisés par le foyer franciscain de la ville, qu'elles visitent régulièrement.


Les volontaires partagent les conditions de vie des populations locales et leur budget est calculé en fonction du smic en vigueur dans le pays. Si elles rendent volontiers toutes sortes de services à leurs connaissances, jamais leurs relations ne passent par l’argent. « Quand nous recevons des dons, nous organisons des activités avec les enfants », explique Marie, mais jamais cet argent n’est donné en espèces, « car cela fausse trop l’amitié ».

Tsiganes... néo-protestants


Un point difficile à expliquer aux amis suisses, lorsqu’elle leur faisait part de son engagement, se souvient la Valaisanne. Cette « culture de la compassion », au centre du projet Point-Cœur, ne se traduit par aucun geste matériel ni aucun élan missionnaire. Car si elle est très présente au quotidien, la prière reste en effet vécue uniquement en privé, dans leur maison communautaire de Deva.

Autant il lui a été facile de récolter de l’argent pour financer son engagement (toutes ses connaissances se sont montrées très généreuses), autant les aspects spirituels lui ont paru difficiles à aborder, raconte Marie. « C’est un point dont on ne parle jamais chez nous. » Quand on parle de Dieu, on suscite toujours gêne et crispation, s'étonne la Valaisanne. Alors qu'en Roumanie, chacun s’y réfère volontiers – « Que Dieu t’accompagne ! », « Que Dieu te protège ! » – au-delà des différences religieuses.

A côté d’une large majorité orthodoxe, la Roumanie compte en effet d’importantes communautés protestantes, catholiques romaines, catholiques grecques, sans compter les mouvements néo-protestants – les « pokaïts » ou convertis, comme on les appelle ici – qui semblent progresser notamment auprès des communautés tsiganes. « Il y a plein de religions différentes, mais tout le monde croit en Dieu », résume Marie.

« Le chant m'a ramenée à la messe »

Cette diversité fait partie des aspects qui l’ont le plus séduite en Roumanie. Ce n’est pas la destination dont elle avait rêvé – pas assez lointaine à son goût – mais elle a été conquise « par l’accueil, la disponibilité, la simplicité des gens, oui, la simplicité surtout ! (soupir) »

Quant aux aspects religieux, elle y est venue plutôt « à reculons ». « C’est le chant qui m’a ramenée à la messe », raconte la catholique. « Je vivais la religion comme quelque chose de très lointain, une histoire qui s’est passée il y a longtemps. C’est par le chant que j’ai continué d’avoir un chemin de foi. » Et c’est aussi en rencontrant les jeunes engagés dans Point-Cœur (lors des week-ends de formation), « qui vivaient leur foi de façon tellement présente », qu’elle a pu embrasser pleinement son engagement.

Une fois sur place, la réalité l'a encore surprise. « Je croyais que tous ces temps de prières allaient me peser. Mais ce sont des moments importants, qui me permettent de me retrouver », dit-elle. Avant de préciser: « C’est un combat d’être disponible en permanence et aussi de s’adapter à la vie communautaire. » Une vie dans un espace réduit où l’on partage tout, mais aussi une confrontation quotidienne à la pauvreté. « Sans Dieu je n’y arriverais pas, je suis trop petite pour tout ça », affirme Marie.


Présente dans une vingtaine de pays

Point-Cœur a été fondée par un prêtre français, le père Thierry de Roucy, en 1990. Plus de 1200 volontaires de trente différentes nationalités ont pris part aux projets Points-Cœur depuis lors. L’organisation est présente dans 41 lieux répartis dans une vingtaine de pays. Beaucoup sont situés en Amérique latine, deux aux Etats-Unis, un en Afrique noire (Sénégal), quelques-uns en Asie (Inde, Japon, Philippines, Thaïlande) et en Europe (Autriche, Allemagne, France, Italie, Roumanie, Suisse, Ukraine).

Sur les photos:
Avec les enfants tsiganes de Mintia (en haut)

En bas: Martha, 36 ans, vient d’Argentine et a décidé de consacrer sa vie à Point-Cœur; Marie la Valaisanne, qui aura 21 ans en octobre, a interrompu son école de commerce pour venir passer deux ans dans cette communauté de Roumanie; Emilie, Française de 28 ans, est infirmière et compte suivre une spécialisation dans les soins palliatifs; Marie, également Française, de 21 ans, reprendra ses études de médecine au retour. A.-S. M.
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