Islam: le loup dans la bergerie des religions?

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Islam: le loup dans la bergerie des religions?

Carole Pirker
10 septembre 2012
Demander à obtenir une reconnaissance officielle? Dans la communauté musulmane, peu y songent. Les musulmans vaudois, eux, se lancent. Zoom sur une loi vaudoise aux nombreux garde-fous et sur un contexte politique tendu
. (Photo: Pascal Gemperli, vice-président de l'UVAM)

, La VP NE/BE/JU

Troisième communauté religieuse de Suisse, l’islam représente aujourd’hui 4,5% de la population résidente. Alors que le recul des deux Eglises majoritaires s’accentue, en 40 ans, les communautés islamiques ont multiplié par 17 le nombre de leurs membres. Pour autant, l’islam n’est pas reconnu officiellement par les autorités.


Or, si aujourd’hui le débat autour d’une telle reconnaissance est plus nourri outre-Sarine, la raison en est simple. Il y a plus de musulmans en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. «Ces trois dernières années, et c’est une première suisse, Bâle-Ville a déjà commencé à faire usage des possibilités légales de reconnaissance de communautés religieuses minoritaires», indique Jean-François Mayer, directeur de Religioscope à Fribourg.



La reconnaissance en question

La reconnaissance dont il est question ici permet aux communautés religieuses d’accéder au statut, non de droit public mais d’intérêt public. Aux Eglises catholiques et protestantes, reconnues de droit public, l’Etat assure, selon la Constitution, les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Aux communautés religieuses reconnues d’intérêt public, comme la communauté israélite, la loi ne prévoit que la possibilité d’une subvention.


L’organisation des relations Eglise-Etat étant du ressort des cantons, les visages de cette reconnaissance sont multiples. En Suisse romande, Genève pratique la stricte séparation Eglise-Etat et ne reconnaît officiellement aucune Eglise. Dans le canton du Jura, la Constitution prévoit que le parlement peut reconnaître d’autres Eglises. Enfin, à Neuchâtel, à Berne et à Fribourg, toute communauté religieuse peut être reconnue d’intérêt public.



Le cas vaudois


Depuis 2007, Vaud dispose d’une loi sur la reconnaissance des communautés religieuses. La communauté candidate doit reconnaître le caractère contraignant de l’ordre juridique suisse, tout comme le droit international, qui instaure l’interdiction de toute forme de discrimination, en particulier entre les femmes et les hommes.

Elle doit aussi respecter la liberté de conscience et de croyance et s’abstenir de «tout prosélytisme contraire à l’ordre juridique suisse». «Or, deux pierres d’achoppement du débat sur l’islam tournent autour du statut de la femme et de la liberté religieuse, une question accentuée par la situation difficile de minorités chrétiennes en pays musulmans», remarque Jean-François Mayer.

Le loup dans la bergerie

A-t-on pensé, lors de son élaboration, à la demande des communautés musulmanes? «On sent la crainte d’introduire le loup dans la bergerie des religions. Le contexte politique n’est pas favorable, surtout après le vote sur les minarets. C’est pour ça que la plupart des musulmans n’ont pas envie de se lancer», commente pour sa part Jean-François Mayer, qui parle d’une perception inquiète, voire négative, de l’islam dans la population.

«Lorsque les gens lisent dans la presse des affaires d’attentats de groupes islamistes, il est assez compréhensible qu’ils disent ‹Pas de ça chez nous›. A l’inverse, une récente enquête parmi les membres des communautés musulmanes a montré du respect et une confiance très élevée en les institutions suisses.»

Candidature: une première romande


Première en Suisse romande, l’UVAM, l’Union vaudoise des associations musulmanes, qui fédère une quinzaine de membres et près de 80% des lieux de culte, a annoncé sa candidature pour une telle reconnaissance. «Cela fait deux ans que l’on nous promet le règlement d’application de cette loi. Nous l’attendons pour déposer notre demande», soupire Pascal Gemperli, son vice-président, qui voit dans cette reconnaissance un élément crucial pour l’intégration des musulmans en Suisse.

«En montrant que nous respectons les conditions fixées par la loi, nous pourrons combattre ce déficit d’image dont nous souffrons. Le canton aura un acteur qui structure la communauté et l’UVAM pourra répondre aux besoins de ses membres, car nous fonctionnons beaucoup sur le bénévolat.»


Or rien ne garantit une aide financière pour assurer les missions de la communauté musulmane. La loi vaudoise ne prévoit en effet cette possibilité que pour les missions exercées en commun avec les deux Eglises reconnues. Ainsi, pour la communauté israélite, seul le dialogue interreligieux est subventionné.

«En cas de reconnaissance, ce n’est que dans une loi spécifique régissant les relations entre l’Etat et la communauté musulmane que le législateur aura compétence de décider si et combien il entend donner», confirme Xavier Paillard, conseiller synodal de l’EERV. Et rien ne stipule qu’un tel montant serait prélevé sur l’actuelle subvention, et donc au détriment des Eglises.»

La délicate question financière


Au Département de l’intérieur, la conseillère d’Etat Béatrice Métraux, qui a repris ce dossier en main en avril dernier, s’est donné jusqu’à fin 2012 pour finaliser le règlement d’application de cette loi. Une chose est sûre: «De la publication du règlement à la reconnaissance, il pourra s’écouler un certain nombre d’années.» Quant aux effets financiers de cette reconnaissance, elle ne souhaite pas répondre à ce stade.



Pascal Gemperli, lui, est confiant: «J’ai bon espoir que nous soyons reconnus par l’Etat. Mais en réalité, tout dépend de notre capacité à expliquer qui nous sommes.» Pour Jean-François Mayer, cela dépend surtout de l’évolution du débat sur l’islam en Suisse: «S’il se détend, peut-être une telle reconnaissance sera-t-elle possible. Mais nous voyons aussi apparaître une référence à la culture occidentale et chrétienne en opposition à l’islam, par exemple dans l’actuel programme de législature de l’UDC.»