Les utopies d’aujourd’hui sont-elles les réalités de demain?

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Les utopies d’aujourd’hui sont-elles les réalités de demain?

Laurence Villoz
31 janvier 2013
Le 28 août 1963, le pasteur afro-américain Martin Luther King bouleversait les Etats-Unis avec son célèbre discours « I have a dream ». Cinquante ans plus tard, ses « rêves » se sont en partie réalisés. Qu’en est-il des utopies aujourd’hui? Le Genevois Julien Cart
(photo: Helena de Freitas), politicien engagé pour la décroissance et l’écosocialisme, dévoile ses « rêves » à ProtestInfo.

Pour célébrer les cinquante ans de « I have a dream », ProtestInfo s’interroge sur la place de l’utopie dans la société actuelle. Trois personnes issues des milieux politique, religieux et littéraire présenteront leur « utopie ». Le premier volet est consacré à un politicien genevois, conseiller municipal (législatif) de la ville de Genève et éducateur spécialisé. Engagé pendant cinq ans auprès des Verts genevois, le jeune homme de 30 ans a décidé de faire cavalier seul depuis le début de l’année.


ProtestInfo: Si vous vous retrouviez au pouvoir, quelle serait la première mesure que vous prendriez?

Julien Cart: Je mettrais en place le revenu de base pour tous. Chaque personne qui réside en Suisse recevrait un revenu découplé du travail. Une initiative est en cours et 70 000 signatures ont déjà été récoltées. Normalement, on devrait voter d’ici trois à quatre ans.

P: Mais cette mesure ne pousserait-elle pas les gens à arrêter de travailler?

JC: L’idée est d’éradiquer la pauvreté. Il ne s’agit pas de payer les gens à ne rien faire, mais de reconnaître tout un pan de l'économie locale. Une étude, mandatée par l’Institut de l’ONU pour le développement social (UNRISD), a montré qu’en Suisse, en 2004, le volume de travail non rémunéré dépassait de 20% le volume du travail rémunéré.

Le revenu de base rendrait les gens plus autonomes et leur permettrait de s’engager parce qu’ils en ont envie. Il éviterait aussi les problèmes de stress lié au travail et ferait baisser les coûts de la santé.

Le revenu de base rendrait les gens plus autonomes et leur permettrait de s’engager parce qu’ils en ont envie. Il éviterait aussi les problèmes de stress lié au travail et ferait baisser les coûts de la santé. De plus, les personnes qui n’ont pas de travail ou qui bénéficient de l’assurance sociale ne seraient plus stigmatisées.

Cette mesure de décroissance revaloriserait en outre les régions périphériques. Avec ce revenu de base, les citadins pourraient aller s’installer à la campagne et investir dans la terre, plutôt que travailler en ville et recevoir un salaire précaire.

P: Comment imaginez-vous que les citoyens suisses réagiront s’ils doivent se prononcer pour un revenu de base pour tous?

JC: Ce sera sûrement refusé. Les Suisses ont même refusé une semaine de vacances supplémentaire. Mais il faut du temps pour aboutir à l'instauration de ce qui paraît de prime abord « utopique ». Par exemple en ce qui concerne l’Assurance vieillesse et survivants (AVS) ou le suffrage féminin, il s’est écoulé trente à soixante ans entre leur proclamation et leur concrétisation.

P: Comment êtes-vous « tombé » dans la politique?

JC: J’ai commencé la politique à l’âge de 25 ans, quand je suis arrivé à Genève. Mais mon intérêt pour la politique a commencé lors d’un stage à l’Association pour l’éducation familiale, à Fribourg, en tant qu’éducateur, une année plus tôt. J’y ai vu la réalité des familles qui sont en difficulté. Ce stage m’a donné envie de m’investir pour améliorer concrètement la situation des gens.

Ma responsable de stage faisait partie des Verts et j’ai donc rejoint ce parti. Puis j’ai eu des réflexions plus précises sur l’écologie politique et la décroissance. J’ai été particulièrement actif avec les Jeunes Verts lors de plusieurs initiatives. En particulier celle qui visait à interdire l’immatriculation des véhicules trop polluants en Suisse.

P: Le 7 janvier vous avez démissionné du parti des Verts après cinq ans d’activité, en partie car vous ne les trouviez pas assez « utopistes ». Expliquez-nous.

JC: C’étaient les valeurs alternatives des Verts qui m’avaient attiré: promouvoir une médecine et éducation alternative, l’accueil de toutes et tous, notamment les personnes handicapées et les migrants. Mais actuellement il y a beaucoup de gens chez les Verts qui se contentent de petits progrès, par exemple les vélos en libre accès dans les villes. Je veux aller plus loin. Je souhaite qu’on change de paradigme, qu’on place la personne au centre plutôt que l’économie.

P: On est revenu de toutes les utopies politiques: ne vous sentez-vous pas un peu anachronique en poursuivant ce genre d’idéaux?

JC: Non. En effet, cela peut paraître anachronique, dans une société où l’on va en week-end à l’autre bout de la planète alors qu’on ne connaît même pas son propre voisin. Mais si ce modèle n’est pas durable, il faudra en inventer un autre. La crise est générale, tout le monde va devoir décroître. Qui va s’y préparer le mieux? Peut-être qu’il y aura des guerres pour les derniers gisements de pétrole, mais on devra tous y faire face.

Dans le monde politique, cette vision est largement partagée. Même les partis de droite (et certains de gauche) qui défendent la croissance et la relance de l’économie sont conscients que le modèle actuel n’est plus possible. Les désaccords s'expriment sur les mesures à prendre.

P: Quel est le moteur qui vous permet de continuer à vous battre malgré les difficultés?

JC: C’est une révolte face à la pauvreté et aux injustices. Une révolte qui a mûri en moi et qui prend encore un aspect plus grand en politique. Je n’ai pas envie de participer à ce monde comme il est. Avant mon entrée en politique, j’étais pratiquant au sein de la religion catholique. Actuellement, je suis agnostique. Lorsqu’on lit les Evangiles et la parole du Christ, la pauvreté et toutes les injustices qui existent sont inacceptables. Pour moi, on ne peut pas être chrétien et mettre les pieds dans ses pantoufles en se disant que ce sera mieux au paradis.

De plus, si j’ai fait des études d’éducateur spécialisé, c’était aussi pour dénoncer les discriminations par rapport aux personnes handicapées. Les inégalités et leur reproduction m’ont toujours interpellé. La fragilité fait partie de nos vies, c’est à nous d’être attentifs à ce qui existe autour de nous, aux gens autour de nous qui souffrent parfois dans le silence.

« I have a dream » de Martin Luther King

Le pasteur afro-américain Martin Luther King est né le 15 janvier 1929, à Atlanta. Dans les années 60, il devient le leader du Mouvement des droits civiques, un mouvement militant contre la ségrégation raciale. Le 28 août 1963, il prononce son plus célèbre discours, « I have a dream », devant 250 000 personnes à Washington D.C.

Dans ce discours, prononcé lors d’une marche pour l’emploi et la liberté, Martin Luther King exprime son rêve d’une Amérique fraternelle où les Noirs et les Blancs pourraient vivre ensemble en harmonie et avec les mêmes droits. Pour rendre ce rêve réel, il faut « garder la foi en Dieu». Ce discours a eu un impact important sur la situation des Noirs américains. L’année suivante, les premières lois civiques interdisant toute discrimination au niveau des élections, de l’emploi et des lieux publiques ont été adoptées.

Martin Luther King est devenu, à l’âge de 35 ans, le plus jeune Prix Nobel de la Paix pour son combat contre le racisme de façon non-violente au Etats-Unis. Il a été assassiné à Memphis le 4 avril 1968.