Première femme rabbin de France: "les préjugés sont encore nombreux"

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Première femme rabbin de France: "les préjugés sont encore nombreux"

Gilles Bourquin
27 mai 2013
Pauline Bebe est devenue en 1990 la première femme rabbin de France. Depuis 1995, elle est le rabbin de la Communauté Juive Libérale d’Ile de France qui rassemble 400 familles. Sa synagogue et son centre culturel sont situés dans le XIe arrondissement de Paris.



, La VP Berne Jura Neuchâtel

Qu’est-ce qui caractérise les juifs libéraux par rapport aux autres tendances du judaïsme?– Le judaïsme libéral est né il y a trois siècles, au début de la période des Lumières. Selon ce courant, la révélation divine est progressive. Dieu s’est révélé à Moïse au Sinaï mais on peut considérer que Dieu se révèle à toutes les époques et encore aujourd’hui des philosophes et des sages peuvent exprimer Sa volonté. Il s’ensuit que le judaïsme libéral s’adapte à son temps et se modernise.



Mais cette modernisation ne va pas toujours de soi: en 1995, certains pratiquants étant opposés à l’idée d’une femme rabbin, vous êtes amenée à quitter votre premier poste et à fonder votre propre communauté. Comment l’avez-vous vécu? 
– Ce fut un combat plus difficile que je ne le pensais. Maintenant, je suis appréciée et soutenue par ma communauté, et même reconnue par certains collègues orthodoxes. J’ai l’impression d’avoir effectué une percée, mais il y a encore beaucoup de préjugés à propos des femmes dans la communauté juive.

Dans toute communauté où une femme exerce pour la première fois une responsabilité, il y a des résistances, car les gens se tournent vers la religion pour s’abriter des changements de la société. Parfois, au début d’une cérémonie, certains sont surpris ou hostiles en voyant que le rabbin est une femme, mais bien souvent, ils reconnaissent après coup que leurs préjugés n’étaient pas fondés. 

Vous êtes mariée à un rabbin et avez des enfants.

Fonder une famille est-il possible pour les rabbins des différentes tendances juives?– Comme le judaïsme insiste beaucoup sur la famille et que le rabbin est le représentant du judaïsme, il est conseillé qu’il soit marié, car tout bon enseignant doit montrer la voie par son propre exemple. La plupart des rabbins, hommes ou femmes, sont donc mariés, mais ce n’est pas une obligation.



Cette insistance sur la famille, n’est-ce pas une façon de rappeler que la place de la femme est au foyer?
– La femme au foyer, c’est la vision juive orthodoxe de la femme. Pour les libéraux, la femme peut avoir un rôle égal à celui de l’homme. A vrai dire, même dans le monde juif orthodoxe, de nombreuses femmes d’aujourd’hui travaillent.



Dans le judaïsme orthodoxe, l’homme et la femme n’ont pas les mêmes droits, notamment en matière de divorce. Qu’en est-il dans le judaïsme libéral?
– Dans le judaïsme orthodoxe, en effet, se pose le problème des enfants illégitimes, lorsqu’une femme refonde une famille sans avoir obtenu l’accord de divorce de son précédent mari. Le judaïsme libéral a abrogé le statut d’enfant illégitime.



En dépit des problèmes posés par l’application de la Loi juive, qu’est-ce qui vous motive dans le judaïsme?
– Le judaïsme est une philosophie extraordinaire qui affirme la vie et l’espoir. «Je suis juif, parce qu’au-dessus de l’Homme, image de la divine Unité, Israël place l’Unité divine, et sa divinité» écrivait E. Fleg. Les commandements sont la grammaire de la vie. Chaque symbole est porteur d’un enseignement. Les midrashim, par exemple, sont de petites histoires d’expériences vécues par des rabbins, ou tirées de la Bible, qui mettent en scène des situations particulières dont tout un chacun peut s’inspirer (cf. référence bibliographique ci-dessous).

Lorsque les enfants viennent à la synagogue, nous leur posons des questions sur tous les aspects de la vie. Le mot religion n’existe pas en hébreu, les dimensions spirituelles, culturelles, sociales et juridiques sont perçues comme un tout qui s’exprime dans une exigence éthique.



Le christianisme a aboli l’interprétation littérale de la loi. Cette approche ne nous épargne-t-elle pas le difficile traitement du droit sacré?
– Un proverbe yiddish dit qu’«il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain». Faire évoluer la loi est nécessaire, mais la supprimer reviendrait à ne plus avoir le cadre nécessaire de la vie. Le judaïsme est un équilibre entre libre spontanéité et cadre légal. Dans la discussion des textes de la Torah, on étudie d’abord les interprétations du passé, puis on formule sa propre opinion.