Face au mal radical

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Face au mal radical

Antoine Schluchter
11 septembre 2013
Le mal radical, auquel bien trop d'êtres humains sont confrontés, a frappé à notre porte en pleine nuit, quand deux inspecteurs de police sont venus nous annoncer l'enlèvement de notre fille par un meurtrier récidiviste. Deux jours plus tard, nous nous retrouvions devant la dépouille de Marie, 19 ans, à l'Institut de médecine légale. C'était il y a plus de trois mois.

, Le Temps

Comment y survivre, vivre avec, vivre après? Avec mon épouse et notre autre fille, nous avons d'emblée choisi de refuser de nous laisser salir le cœur par la haine. Nous avons tout remis à Dieu et tenté de nous concentrer sur des valeurs constructives. Plusieurs passages de la Bible, dont un que je devais travailler pour la fin de l'été, ont été une grande source d'inspiration. Face à l'horreur du mal radical, nous avons puisé dans les paroles lumineuses du Christ, culminant dans la non-réponse au mal par le mal et l'amour même de l'ennemi. Je me risque à formuler à tâtons ce qu'elles m'inspirent.

Postuler un évangile radical face au mal radical, c'est poser une digue pour éviter la noyade.

Postuler un évangile radical face au mal radical, c'est poser une digue pour éviter la noyade. C'est puiser aux sources profondes d'un amour non contaminé. C'est laisser la pluie d'en haut fertiliser la terre craquelée de nos cœurs. C'est dire l'amour plus fort que la mort et la défaite de toute œuvre maléfique. C'est avouer sa fragilité, son impuissance et faire confiance à plus Grand que soi. C'est remettre larmes, stupeur et incompréhension à Celui dont l'amour nous porte depuis toujours. Et c'est déposer devant Lui jusqu'à l'ennemi dont le geste fou nous meurtrit trop pour que nous restions prostrés sur notre peine et que le mal ait le dernier mot.

À l'heure de la rentrée, les questions fusent. Entre autres au sujet du rapport d'expert de Felix Bänziger, dont les conclusions et les recommandations apparaissent timorées à plusieurs observateurs. D'aucuns en appellent à un durcissement des lois. Face à tout cela, quid des paroles du Christ évoquées ici: vaine utopie pour pacifistes déjantés et mystiques désincarnés?

De cœur et de réflexion, à partir de ce dont je suis conscient et des valeurs qui me portent depuis des décennies, sans me soucier de ce qui serait médiatiquement attendu d'un homme d'Eglise, je trouve dans ces paroles du Christ une source d'inspiration qui me questionne et me pousse en avant. À mon niveau, le défi est double: d'une part laisser faire les personnes et institutions compétentes, quitte à les interpeller, plutôt que de vouloir mener tous les combats, mal et en s'y épuisant.

«Donner du sens à mon existence»

Et d'autre part, donner du sens à mon existence par une qualité d'attention accrue à l'autre dans sa situation de vie: sur les trottoirs de ma paroisse, dans la maison des endeuillés ou auprès des personnes traumatisées en rejoignant le service d'aide spirituelle d'urgence. J'envisage ces choix comme une invitation à être vainqueur du mal par le bien, selon le propos de saint Paul.

Dans notre société, le défi me semble être de s'inspirer des valeurs fortes du Sermon sur la montagne pour un vivre-ensemble centré sur l'accueil, la générosité et un profond respect d'autrui tel qu'il se présente à nous. Sans jamais renoncer à l'amour de l'autre différent ou menaçant. Et ce jusque dans l'exercice de la plus grande fermeté quand cela s'avère nécessaire, motivée par la justice et non la vengeance.

Perspective ouverte sur l'infini

Et puis cette spiritualité du Christ qui réussit le tour de force de se déployer au présent en nos champs d'humanité par une référence forte à l’Éternel et au Très-Haut. Qui nous permet d'inscrire nos élans et nos combats dans une perspective ouverte sur l'infini. Autrement dit une spiritualité «les pieds sur terre» qui a toujours été une source d'inspiration pour plus de justice et de fraternité. Je sens à la fois qu'on s'en éloigne, en tous les cas dans sa dimension ecclésiale. Mais également qu'elle revient en force, et c'est passionnant.

Du coup, plutôt que de reléguer ces ressources dans la seule sphère privée, ne serait-il pas profitable à la société dans son ensemble d'accueillir ces ressources sur la place publique et de les mettre en relation avec d'autres pensées et d'autres acteurs? Il y a de nombreuses synergies à inventer en vue d'un mieux vivre et - pourquoi pas? - d'un mieux croire.

Alors, comment survivons-nous? En avançant sur un chemin de crête, guidés et accompagnés. Le brouillard est parfois tenace, mais nous savons que Quelqu'un nous précède et qu'il a déjà accueilli Marie, 19 ans et un jour et l'éternité devant elle.

Survivre? C'est vivre avec ce quelque chose en plus qui change tout: l'espérance. Et recevoir d'en haut et des autres la force d'aimer. Je l'ai dit aux jours du deuil et je le répète: le mal est fait, le mal est défait.

BIO EXPRESS

- Né le 21 septembre 1958 à Morges

- 1978-1993: Etudes à l'Institut biblique Emmaüs et la faculté de théologie d'Aix-en-Provence.

- Mémoire de maîtrise: «George Whitefield et John Wesley, une controverse sur l'évangélisation.»

- Mémoire pour pouvoir exercer en Suisse: «Le BEM et Calvin, une confrontation sur la sainte cène.»

- 1983-1993: pasteur dans la paroisse d'Estavayer-le-Lac et de la Broye fribourgeoise.

- 1993-2000: pasteur de l'église réformée évangélique d'Aix-en-Provence + aumônier Hôpital, Hôpital psychiatrique et Maison d'Arrêt.

- 2000-2006: même poste sans les aumôneries et président national des Églises réformées évangéliques, membre du conseil de la Fédération protestante de France.

- 2006-2008: lancement du Projet Mosaïc, auprès des groupes et églises issus de l'immigration.

- 2008-xxxx: pasteur à Ollon-Villars et responsable de la formation d'adultes régionale, etc.