Travailler dur au paradis des vacances
"C'est notre Saint-Tropez", déclare-t-elle non sans fierté. Le week-end voit arriver les Sénégalais fortunés qui viennent se divertir dans les restaurants et les discothèques, car Dakar, la capitale, n'est qu'à 80 kilomètres.
Pendant la semaine, ce sont les touristes européens, souvent français, qui se dorent sur les plages et c'est auprès d'eux que Joséphine fait de la publicité pour son salon de massage. Les personnes qui s'y intéressent n'ont que quelques pas à faire pour pénétrer dans son domaine, une minuscule cabane au toit de chaume, entourée de boutiques de souvenirs et de petites épiceries. Ce modeste "centre commercial" abrite aussi un atelier de tailleur.
Joséphine ouvre la porte de son salon, où la table de massage occupe la plus grande partie de l'espace. Les murs sont peints en rose, le drap blanc resplendit de propreté. Dans un coin, une étagère porte les huiles et les crèmes. La pièce est divisée en deux par un rideau. Qu'est-ce qui se cache derrière? "Ici, tu vois la misère de l'Afrique", déclare la masseuse en montrant un grand lit: c'est là que vivent et dorment la jeune femme et ses deux enfants.
Son fils a 15 ans, sa fille 10; ce matin, ils sont à l'école. Leur mère rentre tout juste de la ville voisine de Mbour, où elle a acheté au marché des chaussures pour son fils. Elle vit séparée du père de ses enfants: "Les hommes fuient leurs responsabilités parce qu'il est très difficile d'élever un enfant."
En guise de preuve, Joséphine étale des factures sur la table de massage. Le loyer coûte l'équivalent de 75 euros, ce qui correspond au salaire mensuel d'un chauffeur de taxi. "Je dois gagner de l'argent pour la nourriture et pour payer l'écolage des enfants." Elle tire d'un carton une facture de plus de 30 euros due à l'école, à quoi s'ajoutent les cahiers. Récemment, son fils a dû aller à l'hôpital, ce qui a grevé son budget.
Joséphine se tord les mains: "Tout ce que tu gagnes va pour le loyer, l'eau et l'électricité!" Lorsque son travail de masseuse lui rapporte quelque chose, toute la parenté, qui habite le village voisin, s'annonce, car elle est la seule de la famille à travailler. "Chez vous, en Europe, les parents aident leurs enfants, mais nous sommes élevés différemment." Au Sénégal, ce sont les enfants qui travaillent pour subvenir aux besoins des parents. "Comment voulez-vous qu'un jeune s'en sorte?"
Joséphine a tenté d'émigrer illégalement en EuropeA deux reprises, Joséphine a tenté d'émigrer illégalement en Europe, sans aller plus loin que le Maroc. A Tanger, elle a travaillé dans un salon de massage, sans papiers, avant d'être arrêtée par la police: "Quand ils t'attrapent, ils te jettent de l'autre côté de la frontière, en Algérie, avec d'autres Sénégalais, des Nigériens ou des Camerounais!" Elle en est encore indignée: "Les pays arabes se renvoient les immigrés comme des ballons."
Elle rêve d'acheter un petit lopin de terre au Sénégal pour y cultiver des pommes de terre, des oignons et des poivrons, mais elle n'a pas d'argent. Le président Macky Soll, au pouvoir depuis avril 2012, a promis d'aider les familles les plus démunies, tandis que les mères seules qui gagnent moins d'un euro par jour devraient aussi recevoir des allocations.
Le président entend lutter contre la pauvreté par des mesures sociales mais surtout en créant de nouveaux emplois. Il mise sur la croissance économique, mais elle se fait attendre: plus de 40% des 13 millions de Sénégalais vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Un habitant sur deux a moins de 20 ans, et ils seront nombreux à se presser sur le marché du travail dans les années à venir. Joséphine aimerait bien montrer à un ministre comment elle se tire d'affaire. Si on lui donnait un peu d'argent, elle lancerait son propre projet de lutte contre la pauvreté pour assurer sa subsistance. (NL-88)