Ils ont accompagné un condamné à mort vers l'espérance

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Ils ont accompagné un condamné à mort vers l'espérance

Eva Fichefeux
2 avril 2014
Danièle et René Sirven, un couple de Montpellier a accompagné un condamné à mort texan et ramené ses cendres en France. Portrait.

Photo: Dernière rencontre entre le couple Sirven et Rickey Lynn Lewis. Publiée sur la page Facebook qui lui est consacrée.

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Ce jour-là, sur une table de leur appartement abondamment fleuri, Danièle et René Sirven ont disposé tous les documents concernant la vie de Rickey Lynn Lewis, condamné à la peine capitale pour viol et meurtre en 1994, enfermé dans le couloir de la mort au Texas, mis à mort en avril dernier. René Sirven propose d’emblée de faire plutôt le portrait de Rickey car «son parcours est immensément plus riche que le nôtre». Les liens qui unissent les époux Sirven et Rickey semblent difficilement traduisibles avec des mots. Tous trois ont partagé, pendant ces dix longues années, un cheminement spirituel. Alors René et Danièle ont souhaité faire connaître dans «La Souffrance et la grâce» la dernière semaine vécue par ce prisonnier qu’ils ont «adopté» et que Danièle Sirven surnomme son «Little Lamb», petit agneau.

Rejet du dernier appel

Le 31 mars 2003, avant de repartir pour Houston où vit leur fille Virginie et sa famille, le couple décide de rencontrer Rickey Lynn Lewis, après neuf mois de correspondance. Dans la prison de Polunsky Unit, ils assistent à l’annonce du rejet de son dernier appel. Impuissants face à l’effondrement de cet homme et profondément marqués par la fulgurance de son ressaisissement, ils reviendront voir Rickey chaque année. Rétrospectivement, chacun analyse le fil directeur qui l’a conduit jusqu’à cette prison.

Engagé professionnellement dans l’enseignement et le soin, René Sirven a été maître de conférences en psychosomatique à la faculté de médecine de Montpellier. Retraité actif, il devient responsable de plusieurs associations à caractère social dédiées à l’hébergement et l’insertion professionnelle des plus démunis: «Après m’être engagé auprès de malades, puis de personnes précaires, je me suis trouvé à la pointe extrême de la détresse en rencontrant une des personnes condamnées à être éliminées.»

Si l’enseignant-chercheur se place du côté de la souffrance, son épouse analyse sa propre démarche par une certaine approche de la violence. Née au Maroc en 1940, elle réalise dans un contexte de décolonisation «toute la violence dont sont capables les hommes entre eux». Institutrice, elle œuvre ensuite au sein du Planning familial en 1979, auprès d’enfants en difficulté, de personnes atteintes de cancer, puis devient formatrice en soins palliatifs en 2009.

Danièle Sirven considère être «écoutante de la détresse du monde». Ses questionnements sur la violence sociétale et sur la nature humaine l’entraînent vers cette sinistre prison du Texas: «Je suis allée au plus loin de la rencontre avec cette violence, là où la mise à mort est institutionnalisée. J’ai été amenée là-bas pour donner ma modeste opinion sur cette question de la mise à mort d’un homme par d’autres hommes.» Tous deux membres de l’association Lutte pour la Justice Languedoc-Roussillon, ils témoignent de cette première rencontre avec Rickey dans un ouvrage paru en 2003: «Texas couloir de la mort». Un témoignage, préfacé par Robert Badinter.

Sursis de dix ans

Grâce aux bénéfices et aux multiples ventes et événements organisés par l’association héraultaise, un nouvel avocat plaide la déficience mentale de Rickey mais n’obtient qu’un sursis de dix ans. Le prisonnier est noir et pauvre «comme l’immense majorité des condamnés texans, rappelle René Sirven. Il a reconnu le viol mais a toujours clamé son innocence pour le meurtre dont il était accusé et certains éléments de l’enquête la prouvaient».

La fragilité de Rickey Lynn Lewis autant que sa force bouleversent les époux Sirven. Entré en prison, illettré, battu et abusé dans sa jeunesse, il a appris à lire, à écrire et à demander pardon. Son corps séquestré n’empêche pas son esprit de grandir et de se construire.

Joëlle Dumons, membre de l’association abolitionniste, parle d’une «reconnaissance d’âmes» entre les Français et le Texan: «Il prouve que notre humanité s’acquiert parfois dans des endroits impossibles et surtout dans les épreuves.»

Lorsque l’espoir d’une grâce s’estompe, Danièle et René Sirven accompagnent Rickey vers l’espérance: «En chacun se trouve du “non-créé” qui nous origine et qui succède à notre mort, car la mort n’est qu’un passage en lumière. Contrairement au corps, l’espérance ne peut pas mourir.»

Quatorze minutes d’agonie

Depuis sa «cage», Rickey Lynn Lewis a rencontré Dieu et ne cesse de le remercier de sa présence. Ni Danièle ni René ne connaissent l’Église d’origine de Rickey. Peu leur importe. Eux-mêmes ont été baptisés catholiques mais refusent d’adhérer à une dénomination: «Nous sommes dans une démarche ouverte, explique René, nous fréquentons le centre orthodoxe de Sainte-Croix aux côtés d’Annick de Souzenelle, le temple de la Margelle avec la pasteure Titia Es-Sbanti, et nous côtoyons aussi des amis prêtres comme Guy Lauraire ou Gilles Danroc.»

Le 9 avril 2013, la vie de Rickey s’est arrêtée, après quatorze minutes d’agonie, «une éternité» pour «ses parents adoptifs». Touché par la sincérité de leur engagement, le journaliste Patrice Victor les a accompagnés lors de cet adieu: «Sans être croyant, le terme de “religion’’ au sens de “relier’’ a pris tout son sens avec eux. J’ai assisté à une véritable histoire d’amour», raconte-t-il.

En septembre dernier, les trois confessions chrétiennes se sont réunies au temple de la Margelle lors d’une célébration organisée en mémoire de Rickey Lynn Lewis. Conformément à sa volonté, ses cendres ont été ramenées en France et enterrées lors d’une rencontre sur le sens de la vie à Sainte-Croix. Une démarche interreligieuse qui est le «sens même de l’œcuménisme», pour René Sirven: «On pourrait l’élargir mais il se trouve que c’est la Parole qui nous a réuni avec Rickey.»

Refusant d’être étiquetée, son épouse précise: « Je partage avec tous les humains ce dénominateur commun, d’une dimension majuscule et fragile qui donne sens à ma vie. Il se trouve que c’est en Christ que je puise les paroles qui me nourrissent mais, dans le monde, à travers d’autres médiateurs, cette dimension spirituelle existe pour tous.»

À lire

Texas couloir de la mort

À commander à
Lutte pour la justice Languedoc-Roussillon,
2, rue Herbe-d’Amour,
F - 34070 Montpellier
10 € + frais de port

La Souffrance et la grâce

Danièle et René Sirven préface de Marie Balmary, Albin Michel, en librairie dès le 3 avril 2014, 230p.