Il y a 80 ans, une partie de l’Eglise allemande affirmait son opposition à l’idéologie nazie

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Il y a 80 ans, une partie de l’Eglise allemande affirmait son opposition à l’idéologie nazie

Jens Bayer-Gimm
20 mai 2014
En été 1933, la majorité des sièges dans la plupart des organes d’Eglise ont été remportés par un mouvement favorable à Hitler. Du 29 au 31 mai 1934, des représentants des Eglises luthériennes, réformées et unies opposés à la doctrine nazie se rencontraient et proclamaient leur opposition à «la fausse doctrine». «La Déclaration théologique de Barmen reste aujourd’hui encore un guide permettant de différencier clairement la mission de l’Eglise et les tâches de l’Etat», a écrit Angela Merkel dans un article pour l’Eglise évangélique de Rhénanie.

Image: En 1984, la poste de l'Allemagne de l'Ouest a édité un timbre commémorant les 50 ans de la Déclaration théologique de Barmen. DR

, EPD/ProtestInter

Pour le mouvement des «chrétiens allemands», le Führer était vu comme le sauveur. En mars 1934, des croyants écrivaient ce texte digne de la propagande nationale-socialiste: «En la personne d’Adolf Hitler, les temps sont accomplis pour le peuple allemand. Car, par Hitler, le Christ, Dieu notre soutien et notre rédempteur, a manifesté sa puissance parmi nous.»

Deux mois plus tard, du 29 au 31 mai – il y a de cela 80 ans, la résistance de l’Eglise confessante prenait forme à Wuppertal-Barmen. Face à la menace du pouvoir malfaisant du nazisme dans l’Église, des représentants des Eglises luthériennes, réformées et unies se mettaient d’accord, pour la première fois depuis la Réforme, sur une déclaration théologique commune.

Aucun document n’a autant marqué l’histoire du protestantisme après 1945 que la Déclaration théologique de Barmen. Les historiens considèrent les thèses de Barmen comme le document fondateur et la légitimation morale de la reconstruction de l’Eglise protestante après la Deuxième Guerre mondiale.

un modèle pour les mouvements de libération

Ce texte central du Kirchenkampf est devenu dans le monde entier un modèle pour les mouvements chrétiens de libération dans les Etats répressifs. Depuis leur accession au pouvoir, les nationaux-socialistes recueillaient aussi l’adhésion de larges secteurs de l’Eglise protestante. Avec l’appui d’Hitler, le mouvement des «chrétiens allemands» remporta en été 1933 la majorité des sièges dans la plupart des organes d’Eglise.

Ce mouvement revendiquait notamment la proclamation d’une «figure héroïque de Jésus en tant que base d’un christianisme en accord avec le génie propre allemand», la suppression de l’Ancien Testament de la Bible, l’exclusion des «non-Aryens» de l’Eglise, la «protection du peuple contre les incapables et les êtres inférieurs», ainsi qu’un serment de fidélité des pasteurs à Adolf Hitler.

Pour lutter contre cette déchristianisation, des «paroisses confessantes» et des «synodes confessants» régionaux se constituèrent jusqu’à la fin de 1933 dans toutes les Eglises régionales. Le premier «Synode confessant de l’Eglise protestante allemande» d’importance nationale réunit à Wuppertal-Barmen 139 conseillers synodaux de 18 Eglises régionales. Au terme de rudes efforts, ils adoptèrent à l’unanimité la Déclaration théologique de Barmen.

Karl Barth, rédacteur principal

Les six thèses formulées avec force et concision furent rédigées pour l’essentiel par Karl Barth (1886-1968), réformé suisse, professeur de théologie à Bonn, en collaboration avec les luthériens Hans Asmussen, de Hambourg, et Thomas Breit, de Munich.

La première thèse soutient, en opposition à l’idéologie nazie, que «Jésus Christ, selon le témoignage de l’Ecriture sainte, est l’unique Parole de Dieu. C’est elle seule que nous devons écouter, c’est à elle seule que nous devons confiance et obéissance, dans la vie et dans la mort.»

Contre les «chrétiens allemands», la troisième thèse énonce que «Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Église pourrait abandonner le contenu de son message et son organisation à son propre bon plaisir ou aux courants successifs et changeants de convictions idéologiques et politiques.»

Nous rejetons la fausse doctrine

La cinquième thèse renvoie l’Etat national-socialiste dans ses limites: «Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l’Etat devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière, prétendre devenir l’ordre unique et total de toute la vie humaine et remplir ainsi jusqu’à la vocation même de l’Eglise.»

Dans une déclaration sur la situation de droit, le Synode confessant de Barmen tirait la conclusion que les autorités ecclésiastiques du Reich favorables au régime s’étaient détournées du fondement de l’Evangile et avaient perdu de ce fait leur légitimité, et il affirmait que l’Eglise confessante représentait désormais l’Eglise protestante allemande légitime. Ainsi, la scission était consommée.

La formation de l’Eglise confessante à Wuppertal-Barmen est reconnue en même temps comme son sommet. A partir de 1935, l’Église confessante se divisa en deux ailes, l’une plutôt disposée et l’autre radicalement opposée à la coopération.

Pas de mention de la discrimination envers les juifs

Rétrospectivement, les critiques attirent l’attention sur les limites de la Déclaration de Barmen: le président du Conseil de l’Eglise évangélique d’Allemagne (EKD), Nikolaus Schneider, estime par exemple que ses auteurs ont failli à leur tâche au sens où ils n’ont pas mentionné la discrimination envers les juifs en Allemagne qui se développait déjà en 1934.

Toutefois, le Synode confessant protestant de Wuppertal-Barmen a exercé une influence importante au-delà de son époque du fait que, de l’avis d’historiens de l’Eglise, il a engagé un processus d’autocritique et de nouvelle prise de conscience au sein du protestantisme allemand.

Après 1945, les Eglises régionales et les unions d’Eglises renforcèrent cette évolution dans les deux Etats allemands. Le témoignage de foi de Barmen a contribué à la fondation du Conseil œcuménique des Eglises (COE) en 1948 et à la constitution de la Communion d’Églises protestantes en Europe (CEPE) en 1973.

(fna)