Simple course pour la planète Mars

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Simple course pour la planète Mars

21 mai 2014
Muriel Schmid est docteure en théologie de l'Université de Neuchâtel et professeure à l’université d’Utah à Salt Lake City depuis dix ans. Elle vient d’être nommée directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix (CPT) à Chicago et prendra ses nouvelles fonctions en août. Depuis Salt Lake City, patrie de mormons, elle nous livre ses réflexions sur la colonisation d'autres planètes.

Image: Défilé du Pioneer Day en 1922 à Salt Lake City. Archives Université d'Utah

Sporadiquement, les nouvelles en parlent; ce n’est pas encore à la Une des journaux ou de nos télévisions, mais l’idée fait gentiment son chemin. En 2024, un premier groupe d’individus, triés sur le volet, devrait s’embarquer pour Mars et y fonder la première colonie humaine. Mars One, une organisation basée aux Pays-Bas qui comprend de nombreux partenaires internationaux (interplanétaires même, disent-ils), a mis en route ce projet en 2011. L’idée de base est relativement simple: établir une présence humaine permanente sur Mars.

Huit habitants de l’Utah ont passé la première étape de sélection

Des quelque 200'000 personnes qui ont initialement exprimé leur intérêt pour cette mission, 1'058 demeuraient sur la liste au début 2014 après la première sélection; et aujourd’hui, après des examens médicaux approfondis, seules 705 personnes sont encore en compétition. Le premier groupe se composera en fin de compte de 24 personnes, les 24 premiers humains à recevoir leur billet simple course pour Mars.

Cette histoire m’a récemment intriguée lorsque j’ai réalisé que huit habitants de l’Etat de l’Utah avaient passé la première étape de sélection; et l’un d’entre eux, Ken Sullivan, est encore parmi les 705 noms actuellement retenus. Sur une échelle mondiale, cette proportion paraît relativement haute (des 705 personnes restantes, 313 candidats viennent des Amériques, 187 d’Europe, 136 d’Asie, 41 du continent africain et 28 d’Océanie).

La conquête de nouveaux territoires est ancrée dans la culture locale

Dans l’Ouest américain, l’histoire des pionniers et de la conquête des territoires lointains est profondément ancrée dans la culture locale, en particulier dans l’Utah où le récit des pionniers se mêle à celui des mormons.

Pioneer Day se célèbre le 24 juillet dans l’Utah; cette fête unique commémore l’arrivée en 1847 des premiers pionniers mormons dans la vallée de Salt Lake et représente la fête la plus populaire chez les habitants de l’État. L’un des éléments majeurs de cette célébration a pour but de rappeler la fondation de l’État mormon par les membres de l’église qui échappèrent aux persécutions subies dans les Etats de l’Union.

Le récit de la conquête est ainsi teinté de bénédiction divine et de chants de victoire; rien ne mentionne évidemment la présence des divers groupes qui vivaient dans cette région avant l’arrivée des colons. Les Utes, Shoshones et les Navajos, les trois principales tribus concernées par l’arrivée des mormons dans la vallée, ne voient évidemment pas les choses de la même façon. Leur histoire, elle, a été effacée et oubliée; elle ne fait en rien partie des festivités du 24 juillet!

Cet esprit de conquête, et la glorification du pionnier qui l’accompagne se retrouvent dans la plupart des articles de la presse locale concernant la mission Mars One; dans les entretiens accordés par Ken Sullivan, le thème du sacrifice et du courage des pionniers mormons reviennent régulièrement. L’invasion de Mars s’y lit comme le prolongement logique de l’expansion américaine, de la colonisation des terres inconnues et de l’avancée à peine déguisée des valeurs chrétiennes.

Il sera intéressant de savoir qui fera partie des derniers 24 élus; seront-ils tous d’origine européenne ou nord-américaine? Seront-ils tous de tradition judéo-chrétienne? Ou verra-t-on quelque semblant de diversité? Est-ce que les représentants des pays historiquement colonisés se reconnaissent-ils dans ce rêve de conquête?

Reprise du discours classique des colons européens

Une chose paraît sûre cependant, la planète Mars n’est pas encore habitée; à la différence des autres projets de colonisation, celui-ci ne devrait inclure ni génocide, ni conversions forcées, ni annexion territoriale. Cela me rassure, mais jusqu’à un certain point seulement; dans le fond, et cela est inquiétant, la rhétorique de la conquête de Mars reprend sans beaucoup de recul le discours classique des colons européens qui, au nom du Christianisme et de la supériorité de la race blanche, ont conquis tant de territoires.

L’histoire les célèbre aujourd’hui comme pionniers courageux; on peut donc légitimement se demander si elle ne va célébrer nos futurs martiens de la même façon… Si oui, il faudra bien se demander ce que cela cache.

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