Qui a peur de l’égalité?

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Qui a peur de l’égalité?

11 juin 2014
Muriel Schmid est docteure en théologie de l’Université de Neuchâtel et professeure à l’université d’Utah. Elle vit à Salt Lake City depuis dix ans et ce dimanche de Pentecôte, elle a assisté à la Gay Pride de ce fief mormon.

C’est la saison! Dans de nombreuses villes à travers le monde, les communautés LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) célèbrent leur identité, leurs luttes et leurs succès: les mois d’été sont les mois des Gay Pride. Cette année, une Gay Pride est organisée dans environ 200 villes; en plus des villes habituelles telles que New York, San Francisco, Londres, Amsterdam, Paris, Berlin, etc., quelques surprises comme la Gay Pride d’Istanbul, celle de Shanghai ou encore celle de Zagreb. Dans certains pays, ce n’est pas seulement une célébration, mais un acte politique courageux.

Ce week-end, dimanche de Pentecôte, ce fut le tour de Salt Lake City. Cela faisait longtemps que je n’y avais plus assisté et, depuis plus de 10 ans que je vis ici, la Gay Pride est devenue aujourd’hui un événement qui attire un public large et divers. Cette année, les foules étaient particulièrement nombreuses; depuis décembre dernier en effet, le débat autour du droit au mariage pour les couples de même sexe s’est retrouvé au premier plan de la scène politique de l’Utah.

Bataille juridique autour du mariage gay

Pendant 17 jours, entre le 20 décembre 2013 et le 6 janvier 2014, l’Etat de l’Utah a autorisé les mariages pour les couples de même sexe; environ 1300 couples se sont mariés dans ce court laps de temps. Cette ouverture inattendue faisait partie d’une longue bataille juridique qui débuta en 2004. Cette année-là, l’Utah passait l’Amendement 3 qui modifiait la Constitution de l’Utah pour y définir le mariage comme étant strictement réservé aux couples hétérosexuels.

Après 9 ans d’appels, le juge Robert Shelby de la Cour suprême de l’état déclarait enfin l’Amendement 3 anticonstitutionnel, reconnaissant qu’il créait de facto des citoyens et citoyennes de deuxième classe aux droits civils réduits.

Aux Etats-Unis, toute question liée aux droits civils résonne avec le fameux slogan des années de ségrégation raciale, Separate but Equal, qui justifia pendant très longtemps un traitement inégal pour les citoyens et citoyennes noirs américains. Nombreux sont les juges, à travers le pays, qui, en regard du passé, prennent la même décision que le juge Shelby afin d’éviter la création d'une société constitutionnellement divisée.

L’Etat de l’Utah, appuyé par une coalition religieuse dont fait partie l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, a fait appel contre la décision du juge Shelby; c’est un cas relativement unique aux États-Unis: la législature de l’état s’oppose à une décision rendue par sa propre cour suprême, mêlant ainsi religion et politique de manière délicate. La bataille juridique n’est donc de loin pas terminée.

Nombreuses communautés religieuses à la Gay Pride

Dans le contexte politico-religieux particulier de l’Utah et l’actualité du débat sur le droit au mariage pour les couples de même sexe, la Gay Pride de cette année a donné l’occasion à de nombreux groupes de prendre position sur la question des droits au mariage: les divers universités et collèges régionaux étaient présents en signe de soutien pour la communauté LGBT; les représentants d’institutions hospitalières, certains commerces locaux, les politiciens de tous bords qui se battent pour changer la loi, la police… mais, en fin de compte, ce qui était vraiment unique dans cette Gay Pride de Salt Lake City, c’était le nombre remarquable de communautés religieuses qui faisaient partie de la parade! Les méthodistes, les presbytériens, les épiscopaliens, les unitariens, les diverses communautés juives, les bouddhistes, sans compter les groupes néo-païens et les associations d’athées qui tous ont défilé avec leurs pancartes et leurs slogans en faveur de l’égalité. Dans ce concert de voix venues de si nombreuses traditions de foi, deux faits notables.

Tout d’abord, parmi ces groupes religieux, un groupe reçut un accueil chaleureux particulier, celui des mormons qui soutiennent le droit à l’égalité et qui choisissent d’être présents au cortège de la Gay Pride. Mormons Building Bridges est un groupe de mormons pratiquants qui, en opposition avec la doctrine officielle de leur église, réaffirment l’Evangile en prêchant amour et acceptation à l’égard de la communauté LGBT, un mouvement de base qui au nom de leur foi chrétienne refuse l’exclusion et la discrimination. Cette année, ils sont venus en nombre imposant participer à la Gay Pride, tous vêtus de leurs habits du dimanche.

Deuxième fait notable, l’absence de certains groupes! Les catholiques, qui se sont alliés aux mormons dans la bataille juridique contre le droit au mariage pour les couples de même sexe, n’étaient pas présents, du moins pas officiellement; et bien entendu, aucun représentant des communautés de tendance évangélique.

Qu’est-ce qui fait peur dans le droit à l’égalité?

À voir défiler tous ces croyants, en particulier ceux et celles issus de la tradition judéo-chrétienne, et en pensant aux absents, je me demande ce qui fait peur dans le droit à l’égalité et je n’ai pas de réponse.

Juste un double sentiment: je suis toujours déstabilisée par la confusion entre le politique et le religieux (et les Etats-Unis n’en ont pas le monopole comme certains Européens aimeraient nous le faire croire), et en même temps je suis profondément touchée par l’acte courageux de ceux et celles qui prennent publiquement position pour la justice contre le mot d’ordre de leurs autorités.

Je n’ai pas manqué d’applaudir ces mormons, jeunes et vieux, hommes et femmes, qui défilaient avec enfants et amis dans leurs habits du dimanche!