Changer le cantique suisse?

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Changer le cantique suisse?

30 juillet 2014
Chaque mercredi, Protestinfo donne carte blanche à un chroniqueur.

L'ancienne conseillère nationale libérale vaudoise, Suzette Sandoz se pose la question: un hymne national, ça sert à quoi?

Photo: CC(by-nc-sa) Jérôme

A quoi peut bien servir un hymne national ou patriotique? De nos jours, la réponse est simple: aux manifestations sportives olympiques. Et peu importe que les champions en sachent les paroles ou non, de toute manière, à quelques exceptions près, nombreux sont ceux qui, comme leurs fans, ne pratiquent que le patriotisme de pacotille ou le chauvinisme bêtifiant qui marque le sport international.

Dès lors se pose à nouveau la question: à quoi peut bien servir un hymne national ou patriotique? A entretenir l’instinct belliqueux des citoyens qu’il appelle aux armes? A célébrer le triomphe des Droits de l’homme (voir l’Hymne vaudois)? A exprimer simplement l’amour de la patrie et la reconnaissance envers Dieu ou la confiance en Lui (Cantique suisse)? Les paroles datent souvent d’un autre siècle (milieu du XIXe pour le cantique suisse). Elles sont démodées, les airs aussi. D’ailleurs, qui en sait encore toutes les paroles? Même des autorités politiques ne les retiennent pas toujours. Et il est prudent, en Suisse en tous les cas, de remettre un texte à chaque participant avant une manifestation patriotique!

Quant à la «jeune génération», n’en parlons pas: elle ignore autant le Cantique suisse que l’histoire suisse. A quoi ça sert? On est «citoyen du monde»! Et puis, un cantique suisse qui parle de Dieu porte atteinte à la liberté religieuse des citoyens! C’est le fin moment de changer notre hymne national et de le «dépoussiérer»!

D’accord! Mais si on veut le changer, c’est bien pour en avoir un. Si on veut en avoir un, c’est qu’il sert à quelque chose. Alors on repose la question: un hymne national, ça sert à quoi?

J’étais l’autre jour à Savatan, au dixième anniversaire de l’Académie de police. Les candidats en formation –plus de 130 hommes et femmes– sont arrivés sur la place pour le lever des couleurs, en ordre parfait et en chantant leur chant de ralliement. C’était impressionnant et émouvant.

Certaines sociétés d’étudiants, celle de Zofingue entre autres, ont un chant traditionnel. Quand des Zofingiens se lèvent pour «chanter la Blanche», il y a un souffle extraordinaire d’amitié.

Et les exemples pourraient être multipliés. Un chant commun crée un lien communautaire et une loyauté de groupe. Il évoque généralement un événement fondateur du groupe ou un élément marquant de son histoire. Rien de plus naturel, dès lors, que les citoyens d’un même pays aient un chant commun. Ce chant, appelé hymne patriotique, hymne national (en Suisse, Cantique suisse) les relie à tous ceux qui les ont précédés, par l’évocation d’une histoire commune, d’un amour commun, d’une gratitude éventuelle commune.

Pour changer un hymne national, il faut un événement marquant

Plus l’événement relaté par l’hymne est ancien, plus les paroles et la musique en porteront la marque, mais plus il est légitime de les conserver pour bien marquer l’existence du lien de fidélité depuis des années. Pour créer ou changer un hymne national, il faut qu’un événement exceptionnel marque un bouleversement fondamental dans une communauté.

Aucun événement, à ce jour, ne bouleverse notre Pays, et on s’en réjouit (quand on voit les bains de sang de la Syrie, de l’Ukraine, de Gaza). Nous bénéficions toujours, en Suisse, de la démocratie directe, même si certains partis gouvernementaux de gauche ou de droite en abusent un peu en ne lançant que des initiatives électoralistes! Nous avons toujours un exécutif fédéral faible, plus ou moins collégial et, par bonheur, élu par le Parlement et non pas par le peuple. Nous comptons toujours deux voix par canton au Conseil des Etats, quelle que soit la dimension du canton. Nous jouissons toujours d’une organisation fédéraliste, malgré une tendance néfaste à la centralisation sous prétexte d’égalité ou de politique étrangère. La grande majorité de la population, d’origine chrétienne, croit encore à une transcendance même si la pratique religieuse diminue. Plusieurs constitutions cantonales –dont celle du canton de Vaud– affirment même le rôle social des églises.

Bref! Pourquoi changer le cantique suisse? On pourrait éventuellement le rebaptiser «hymne patriotique ou national» pour que le reste du monde – qui s’en fiche totalement! — sache tout de suite de quoi il s’agit. Mais le modifier pour qu’il soit mieux connu des citoyens, qu’on ne se fasse aucune illusion: les nouvelles paroles ne seront connues que d’une petite poignée de personnes à moins, comme en France, aux USA, en Serbie, en Autriche, d’en rendre l’enseignement obligatoire dans les écoles.

Et à propos d’école, peut-être y a-t-il, en relation avec la question patriotique, du pain sur la planche. En effet, comme l’écrit fort bien le chroniqueur et historien David Laufer dans Le Régional*, «N’abolissons pas notre Cantique suisse... Avant de célébrer notre pays par un nouvel hymne, commençons par découvrir pourquoi exactement nous devons le célébrer. Les paroles et la musique viendront naturellement». Voici deux générations au moins que l’école publique faillit à sa mission.

* N°716, du 9 au 16 juillet 2014, p. 19

Le Cantique suisse

En extrait de l'hymne national suisse en français, italien et allemand.