La longue marche d’«Exodus» à «Selma»

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La longue marche d’«Exodus» à «Selma»

Jeffrey Salkin
6 janvier 2015
Censuré en Egypte, au Maroc et aux Emirats arabes unis, «Exodus» de Ridley Scott raconte comment Moïse a conduit le peuple hébreu hors d’Egypte. Anachronismes, influences sionistes, derrière les critiques se cache l’histoire d’une recherche de liberté.

Photo: Christian Bale qui joue Moïse dans le film «Exodus» © RNS

(RNS-Protestinter)

Eviter de réaliser des films qui risquent d’énerver les pays du Sud: voici un des conseils de 2014 les plus pertinents pour les cinéastes en herbe. Si la Corée du Nord s’affole face à «The Interview» – un complot grotesque pour assassiner Kim Jong-un – l’Egypte, le Maroc et les Emirats arabes unis ont décidé d’interdire la diffusion de l’épopée biblique de Ridley Scott: «Exodus».

Pourquoi? L’Egypte est particulièrement en colère contre les inexactitudes historiques du film. Premièrement, «Exodus» met en scène d’anciens Egyptiens qui pendent des esclaves hébreux. La pendaison n’a jamais fait partie des punitions dans l’Egypte ancienne. De plus, les Egyptiens sont mécontents que le film montre ces esclaves travaillant à la construction du Sphinx et des pyramides. Ils critiquent également la représentation d’une insurrection armée des Hébreux – un récit qui n’apparaît pas dans le texte biblique.

Selon une déclaration officielle, «Exodus» contient «des erreurs historiques flagrantes et intentionnelles qui offensent l’Egypte et son histoire pharaonique dans une tentative de judaïser la civilisation égyptienne. Le film est truffé d’empreintes sionistes».

Les Egyptiens ont raison

Les critiques égyptiennes sont fondées. Les Hébreux n’ont absolument pas construit le Sphinx et les pyramides. La construction des pyramides remonte à 2700 à 2100 avant J. C. En considérant que la datation conventionnelle situe Abraham à environ 1800 avant J. C. et Moïse vers -1300, la consternation des Egyptiens est compréhensible. Dans la Bible, le livre de l’Exode raconte que les anciens Israélites ont participé à de grandes constructions, comme celles des villes de Pithôm et de Ramsès, mais pas à l’édification du Sphinx ou des pyramides.

Quant aux autres inexactitudes historiques, il y a en effet des empreintes sionistes si on définit «sioniste» comme «des Juifs qui prennent en main leur destin et refusent la passivité». Beaucoup de critiques ont grincé des dents en voyant Moïse armé comme un chef militaire. Cette idée a des origines juives. Mais en choisissant de présenter Moïse comme un chef militaire énergique plutôt que comme un récepteur passif de la parole de Dieu, Ridley Scott nous offre un Moïse en adéquation avec notre époque.

Il est difficile de regarder «Exodus» sans remarquer les subtiles références à l’Holocauste. Les pendaisons publiques, que les Egyptiens contemporains trouvent si offensives, sont directement tirées des stratégies nazies, comme la crémation des corps des esclaves hébreux. Quand Moïse conduit les Israélites à une rébellion ouverte, cet événement fait écho à l’insurrection qui s’est déroulée dans le ghetto de Varsovie. Les critiques des Egyptiens sont compréhensibles.

Choqués par certaines images

Certains spectateurs américains désapprouvent la violence des épidémies. Pourtant, nous avons besoin de voir ces images. C’est essentiel de comprendre comment chaque épidémie a conduit à la suivante, entraînant un effondrement écologique. Ce phénomène explique scientifiquement la propagation d’une infection. Tout comme représenter Dieu par un garçon de 12 ans qui se donne un genre. Le grand sage juif Maïmonide, qui abhorrait toute représentation physique de Dieu, est probablement en train de se retourner dans sa tombe.

Mais le plus important avec «Exodus», c’est qu’il nous emmène au-delà du film lui-même – il nous conduit vers un autre film épique de la saison. Derrière les costumes, la mythologie et le mascara des monarques égyptiens, «Exodus» parle de la naissance de la liberté – une lutte (dont l’humain est l’instigateur et Dieu le sponsor) pour la libération nationale. Un peuple exige ses droits. Un dirigeant hurle pour la rédemption. Un être fragile marche dans le désert sans garantie de ce qui va se passer. Cette histoire se retrouve dans la lutte pour les droits civiques avec Martin Luther King – et le film «Selma».

Le mouvement des droits civiques s’est inspiré de l’histoire de l’Exode d’Egypte, qu’on retrouve dans les negro-spirituals, par exemple la chanson «Go down Moses». Le mouvement pour les droits civiques, conduit par des personnes religieuses, a vu la sortie d’Egypte comme un modèle pour la liberté des Noirs aux Etats-Unis. Et c’est ce qui a amené tant de dirigeants juifs américains à soutenir activement et passionnément le mouvement des droits civiques. Lorsque le rabbin Abraham Joshua Heschel a marché à Selma (Alabama), il a eu l’impression que «ses pieds étaient en prière». Après tout – la «capitale de l’Egypte ancienne était Memphis. Et c’est aussi dans la ville américaine, Memphis, que le King est décédé. Sans «Exodus», il n’y aurait pas eu de «Selma».