Politically correct ou non politically correct, là est la question

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Politically correct ou non politically correct, là est la question

4 février 2015
Chaque semaine, Protestinfo laisse carte blanche à une personnalité réformée.

Vivant aux Etats-Unis depuis plus de dix ans, la théologienne neuchâteloise Muriel Schmid, directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix à Chicago, a appris à aimer le Politically correct.

Disons-le d’emblée, le politiquement correct (PC) n’a pas bonne presse dans la culture francophone, encore moins dans la culture française. Le PC y est souvent conçu comme l’envers exact de la liberté d’expression et comme un interdit imposé à tous les tons satiriques et irrévérencieux dont la langue française est si fière. Dans le débat actuel qui déferle sur la France à la suite des attentats de Paris, y a-t-il un intérêt à revisiter cette notion du PC?

Ayant vécu et enseigné aux États-Unis pendant plus de 10 ans maintenant, j’ai découvert les enjeux et ramifications du PC et appris à les apprécier.

Tout d’abord, il est à noter que lors de son apparition à la fin des années 1980, l’expression «politically correct» était utilisée dans le contexte américain de manière dénigrante et servait à se moquer ouvertement de la gauche intellectuelle qui prônait la mise en place de mesures de protection pour les minorités. Les attaques venaient alors de la droite néoconservatrice qui voyait dans la montée du PC, en particulier dans les collèges et universités, la perte des valeurs morales occidentales, chrétiennes et capitalistes! Un fameux article, «Thought Police?» (Une police des pensées?), paru dans Newsweek le 24 décembre 1990 formulait clairement ces attaques contre le PC.

Depuis lors, le même genre de magazine – Newsweek et surtout Forbes qui publiait en décembre dernier un article au titre évocateur: «Is Saying Merry Christmas Politically Correct? Good for Business?»(Dire «joyeux Noël» est-il politiquement correct? Bon pour les affaires?) – revient régulièrement sur la question et ne cesse de décrier le PC comme la porte ouverte à un certain relativisme et un multiculturalisme débridé; la perte de la liberté d’expression dans ce contexte est directement liée à la perte des privilèges du groupe dominant.

Comme cela est souvent le cas, le terme initialement moqueur s’est vu récupéré par la gauche intellectuelle américaine. Une deuxième version du PC a donc pris forme dans les années 1990, indissociable d’une critique aigüe du «hate speech» (discours haineux) et des systèmes d’oppression reflétés dans les formes de langage.

Le PC de cette gauche intellectuelle s’inspire des discours post-modernes, post-colonialistes, antiracistes et antisémitiques. Le principe de base de ce PC-là est de soutenir que le langage renforce les systèmes d’oppression et d’exclusion et construit ainsi des sémantiques qui régulent par effet de ricochet l’accès aux droits et libertés démocratiques. Cette perspective s’accompagne d’une défense des minorités, souvent invisibles, qui ne bénéficient pas des mêmes privilèges que la majorité – elle-même souvent identifiée comme WASP dans les références américaines: White Anglo-Saxon Protestant (blanche, Anglos-Saxonne et protestante). Dans un pays comme les Etats-Unis, les minorités ont évidemment beaucoup changé au cours des années et aujourd’hui le PC cherche à inclure tout individu qui défie ce qui a été pendant très longtemps considéré comme normal (le terme «normal» lui-même n’est en fait pas vraiment PC).

Deux visions pour sauver la démocratie

Des deux côtés du débat, on s’inquiète de sauver les valeurs démocratiques: attaque contre la liberté d’expression pour les uns, pour les autres, le PC garantit le plein respect de tous et toutes dans le système démocratique. Comment trancher?

Pour ma part, ne pas séparer le PC de son contexte plus large est indispensable. Dans sa réception en France et plus largement dans le monde européen francophone, le PC est souvent compris comme une limitation plutôt qu’une inclusion; en ce sens, et je trouve cela amusant, ces réactions européennes à l’égard du PC rejoignent celles de la droite américaine néoconservatrice!

Deux observations me paraissent importantes:

1) le PC souligne que la satire n’a jamais le même statut si elle s’en prend à la majorité (elle s’attaque au pouvoir) ou à la minorité (elle renforce indirectement le pouvoir);

2) le PC se situe en amont du «hate speech» et tente de le prévenir, alors que les amendes, ce qui se pratique actuellement en France, se situent en aval du «hate speech» et tentent de le réparer.

A la suite des attentats de Paris, une dimension bien particulière du PC et de la liberté d’expression a fait l’objet des débats: le statut et les revendications de la caricature d’ordre religieux. A y prêter attention, les divers niveaux de la caricature religieuse nous renvoient à la notion aujourd’hui oubliée du blasphème.

Anciennes valeurs chrétiennes

Le monde chrétien a imposé pendant des siècles des règles très strictes concernant le droit d’attaquer ou non la religion et ses représentations (représentation de Dieu par exemple); le châtiment infligé pour blasphème était souvent la peine de mort (cf. Lévitique 24:13-16). Est-ce parce que nous avons aujourd’hui aboli ces règles que nous devons les ignorer chez les autres?

Les avons-nous d’ailleurs pleinement abolies? N’avons-nous plus d’interdits concernant la représentation ou la critique en général (un article récemment paru dans Le Monde indique que Charlie Hebdo a fait face à environ 50 procès entre 1992 et 2014)? Finalement, dans un contexte postcolonial, peut-on aisément se laver les mains de nos anciennes valeurs reprises par ceux et celles auxquel-le-s elles ont été jadis imposées?

Depuis 1999, le débat sur la diffamation religieuse et la possibilité d’introduire une loi interdisant le blasphème a fait l’objet de nombreuses discussions au sein des Nations Unies, mais n’a jamais abouti à un réel accord; il est intéressant cependant de signaler que la plus récente résolution votée à l’ONU (et approuvée par une faible majorité) condamnait en 2010 la loi suisse concernant les minarets! Peut-être que cette discussion, au lieu de se limiter au conclave des sessions de l’ONU, aurait dû depuis longtemps être sérieusement prise en charge par le politique, le milieu éducatif et les Eglises.

Références

  • Excellent article dans Le Monde sur la liberté d’expression, droits et devoirs
  • Article dans Forbes Magazine sur «Merry Christmas» et le PC
  • Article Wikipédia sur le PC en anglais
  • Article Wikipédia sur le PC en français
  • Reproduction de l’article de Newsweek du 24 décembre 1990
  • Réflexion sur l’article de Newsweek de 1990
  • Article Wikipédia sur l’ONU et la diffamation religieuse (pas d’équivalent en français)