Les Églises ukrainiennes à la marge du monde œcuménique

Pendant très longtemps, les orthodoxes russes étaient assimilés au patriarcat de Moscou.. / Sergey Dolzhenko/ Keystone
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Pendant très longtemps, les orthodoxes russes étaient assimilés au patriarcat de Moscou..
Sergey Dolzhenko/ Keystone

Les Églises ukrainiennes à la marge du monde œcuménique

Alors que s’ouvre la 11e Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises le 31 août à Karlsruhe, tous les regards se portent sur les Églises orthodoxes d’Ukraine et de Russie.

Seront ou ne seront-elles pas présentes? Telle est la question que tout le monde se pose à la veille de la 11ee Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE), qui se tiendra du 31 août au 8 septembre dans la ville allemande de Karlsruhe, et ce alors que la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine continue de faire rage.

L’interrogation concerne évidemment les deux Églises orthodoxes ukrainiennes qui co-existent actuellement en Ukraine – à savoir l’Église orthodoxe d’Ukraine, qui relevait jusqu’à peu du patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale).

Pour rappel, l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale) est formée en 2018 par la fusion ordonnée par le président ukrainien Petro Porochenko des deux entités dissidentes du patriarcat de Moscou, apparues dans le paysage ukrainien suite à la chute de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine en 1991. Sa reconnaissance en 2019 par le patriarche Bartolomée du patriarcat de Constantinople avait suscité l’ire de l’Église orthodoxe russe, qui ne lui reconnaît encore aujourd’hui aucune légitimité.

Nouveau schisme

Avec la guerre, la situation s’est encore complexifiée, l’Église orthodoxe d’Ukraine relevant du patriarcat de Moscou ayant décidé de s’en détacher à son tour. «Son chef, le métropolite Onuphre, qui est considéré comme un proche de Kirill depuis toujours, a été contraint par les événements à prendre ses distances vis-à-vis de Moscou», explique Antoine Arjakovsky, fondateur de l’Institut d'études œcuméniques à Lviv, en Ukraine.

En effet, entre le mois de mars et mai, plusieurs centaines de paroisses ont décidé de se détourner du patriarcat de Moscou pour adhérer à l'Église orthodoxe ukrainienne autocéphale. «Réunie en Synode à la fin mai, l'Église orthodoxe d’Ukraine a pris la décision de supprimer de ses statuts toute référence au patriarcat de Moscou», poursuit ce spécialiste du monde slave. «Celle-ci est donc aujourd’hui dans une situation de grande difficulté, une sorte de vacuum, puisqu’elle ne dispose de reconnaissance d’aucun patriarcat actuellement, ce qui est inconcevable dans le monde orthodoxe.»

Avenir incertain

Serait-ce dès lors concevable que les deux Églises orthodoxes ukrainiennes se rapprochent, voire finissent par fusionner, l’Église autocéphale étant reconnue par le patriarcat de Constantinople?

«Là est la grande question. Tout le monde s'interroge pour savoir ce qui va se passer», exprime Antoine Arjakovsky. Et d’ajouter: «Personnellement, je pense qu’il y a une possibilité pour qu’une réconciliation ait lieu entre ces deux Églises ukrainiennes. Un groupe assez influent et légitime a déjà établi la jonction, et c’est aujourd’hui la première fois, depuis trente ans, que ces Églises ukrainiennes sont en mesure de se parler sans dépendre de centres qui sont extérieurs au pays et qui parasitaient leur dialogue.»

Pour autant, ces deux Églises appartiennent à deux univers mentaux très différents, poursuit-il. «L’une célèbre en slavon (russe ancien, ndlr), l’autre en ukrainien et est surtout clairement pro-ukrainienne.» Par ailleurs, présentement, ces Églises ne se reconnaissent pas mutuellement: «D’une à l’autre, les baptêmes ne sont même pas reconnus.»

Auteur du récent essai intitulé «Qu’est-ce que l’œcuménisme?» (Cerf, 2022), Antoine Arjakovsky insiste sur le fait que c’est précisément «la responsabilité des institutions œcuméniques, à Rome comme à Genève (COE, ndlr.), que d’aider ces Églises orthodoxes ukrainiennes à se rencontrer et à dialoguer».

Indésirable Russie?

À la veille de la grand-messe œcuménique de Karlsruhe, qui a lieu tous les sept ans, les regards pointent naturellement aussi en direction de l’Église orthodoxe russe, dont le patriarche Kirill a ouvertement légitimé l’entreprise militaire de Vladimir Poutine en Ukraine. Au cours du printemps, l’institution genevoise avait d’ailleurs reçu de nombreux courriers de chrétiens et d’Églises (dont l’Église évangélique réformée de Suisse) lui demandant de condamner publiquement ces propos ainsi que de renoncer à tout lien, du moins momentanément, avec l’Églises russe.

Soucieux de préserver son identité en tant qu’espace de dialogue, le comité central du COE s’est cependant refusé, en juin dernier, à suspendre l’Église orthodoxe russe. C’est dans la même optique qu’une délégation du COE s’est rendue en Ukraine, début août, pour y rencontrer notamment le Conseil des Églises et organisations religieuses d’Ukraine (VRCiRO), et s’assurer de la présence de représentants ukrainiens à l’événement.

Le VRCiRO représente 95% des communautés religieuses du pays, toutes confessions confondues, et réunit notamment les deux Églises orthodoxes jusqu’alors rivales. Tour à tour, la délégation du COE, conduite par son secrétaire général par intérim Ioan Sauca, a rencontré leurs responsables respectifs, à savoir le métropolite Epiphane de Kiev (Église autocéphale) le 3 août, et le métropolite Onuphre le lendemain.

Reconnaissance tardive

«Pendant  très longtemps, ces deux Églises ukrainiennes ont été marginalisées par le monde œcuménique qui ne voyait que Moscou», commente Antoine Arjakovsky. «Quand j'ai créé l'Institut d'études œcuméniques en 2004 à Lviv, j'ai été sidéré de voir à quel point personne ne voulait s'aventurer sur le terrain ukrainien, tellement ils avaient peur de se fâcher immédiatement avec le patriarche Kirill.»

À l’heure actuelle, seule l’Église orthodoxe russe est membre du COE – elle représente d’ailleurs la plus grande entité parmi les 345 Églises membres. Son représentant à Genève n’est autre que Mikhail Goundiaev, neveu du patriarche Kirill. Quant à l’Église orthodoxe ukrainienne (autocéphale), elle vient seulement de déposer sa candidature. «Il lui faudra encore attendre un ou deux ans pour devenir membre du COE», informe Marianne Ejdersten, cheffe de la communication de l’ONG œcuménique. Et d’ajouter: «Ils ont été invités à envoyer leurs représentants en tant qu’observateurs extérieurs à l’Assemblée de Karlsruhe.» La centrale des admissions attend leur confirmation définitive.

À noter encore que le thème de cette 11e Assemblée est «L'amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l'unité».