«Les Eglises ont un effet démultiplicateur de l’argent qui leur est versé»

L’Eglise assume une présence dans de nombreux EMS. / ©iStock
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L’Eglise assume une présence dans de nombreux EMS.
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«Les Eglises ont un effet démultiplicateur de l’argent qui leur est versé»

Joël Burri, Camille Andres, Nicolas Meyer
19 mars 2024
Finances
Les Eglises sont au service de toutes et de tous! L’Eglise bernoise le rappelle en raison du débat cantonal sur l’impôt paroissial des personnes morales. Mais l’engagement social fait également partie des valeurs de ses Eglises soeurs.

D’où vient l’argent des Eglises réformées et à quoi sert-il? En période de déclaration d’impôts et alors que le Grand Conseil bernois débat du caractère obligatoire de l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales (voir page 25 dans l’édition bernoise de Réformés), ces questions sont plus que jamais d’actualité.

Mais y répondre nous confronte à la diversité des systèmes cantonaux! «La Constitution fédérale a beau commencer par une référence divine (‹Au nom de Dieu Tout-Puissant›), elle ne traite guère de religion. Seuls deux articles y font spécifiquement référence: l’un (art. 15) pour établir la liberté de conscience et de croyance et l’autre (art. 72) pour préciser que la réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons», rappelle Swissinfo dans un article consacré à un débat organisé en marge des 175 ans de ladite Constitution fédérale. On a ainsi, de manière générale, une Eglise cantonale réformée – ou «protestante» pour les Genevois – dans chaque canton. Avec parfois des collaborations intercantonales fortes, telles que l’Union synodale Berne-Jura-Soleure, où des Eglises différentes partagent un même organe délibérant: le Synode.

Des montants versés à l’Eglise ou à la paroisse

Mais une Eglise, ce n’est pas qu’un organe cantonal: ce sont aussi des paroisses. Et les rapports de force entre celles-ci et l’Eglise cantonale varient d’un canton à l’autre. Ainsi, à Fribourg, l’impôt ecclésiastique est versé aux paroisses, lesquelles paient elles-mêmes leurs ministres. Les contributions des paroisses s’élèvent de la sorte à 2,1 millions de francs sur les 2,5 millions du total des recettes de l’Eglise cantonale. Le reste provenant de subventions affectées à la formation et aux aumôneries.

En Valais, le financement des cultes est du ressort des communes. Trois d’entre elles, dont Sion, connaissent le système de l’impôt ecclésiastique. Le projet de nouvelle Constitution, refusée par le peuple en mars, prévoyait que cette responsabilité passe en mains cantonales.

Les cantons de Berne et du Jura connaissent un impôt paroissial. Celui-ci est redistribué en partie sous forme de contribution aux Eglises cantonales et partagé entre paroisses selon un plan de péréquation. Le canton de Berne verse en outre une contribution de base à l’Eglise cantonale, ainsi qu’un autre montant faisant l’objet d’un contrat de prestations. Les 87,7 millions de francs (moyennes 2021-2022) de revenus sont donc assurés à hauteur de 24,4 millions de francs par les paroisses, 34,8 millions par la contribution de base et 25 millions liés au contrat de prestations.

Une contribution volontaire

Dans les cantons de Neuchâtel et Genève, une contribution volontaire en faveur des Eglises cantonales peut être payée en même temps que les impôts. Pour l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel, cette contribution représente 4 des 7,9 millions du total des produits 2022. Dans ce canton, l’Eglise réformée touche en outre près de 800'000 fr. de l’Etat au titre notamment du revenu des biens incamérés, les biens de l’Eglise devenus propriété de l’Etat en 1848. A Genève, les fidèles préfèrent assurer des dons directement à l’Eglise protestante de Genève, puisque la contribution volontaire ne représente que 10% des charges de mission. Ces deux Eglises possèdent par ailleurs des immeubles locatifs, dont les revenus participent aussi au financement des activités de l’Eglise.

Les Vaudois, par contre, ne connaissent pas l’impôt ecclésiastique. L’Eglise réformée, l’Eglise catholique romaine et dans une moindre mesure la communauté israélite de Lausanne reçoivent un subside. Dans sa Constitution, le canton reconnaît en effet que «l’Etat tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine. Il prend en considération la contribution des Eglises et communautés religieuses au lien social et à la transmission de valeurs fondamentales». Pour l’Eglise réformée, la subvention représente 33 millions sur un budget total de 40 millions de francs.

Au service de toutes et de tous

Si les sources de financement des Eglises réformées sont très différentes d’un canton à l’autre, elles sont mues par un même esprit: être au service de toutes et tous. «L’Eglise est au service de tous les habitants du Pays de Neuchâtel par la proclamation de l’Evangile et par la diaconie. En sont membres tous ceux qui se reconnaissent chrétiens réformés évangéliques», mentionne par exemple la Constitution de l’EREN.

Si la proclamation de l’Evangile est citée en premier, elle ne se limite pas au culte dominical. L’EERV est ainsi présente dans 28 EMS, six prisons, 25 hôpitaux. A cela s’ajoute un poste pour le monde agricole. Et à en croire le conseiller synodal Philippe Leuba, «ce serait un exercice aussi artificiel que vain que de vouloir à tout prix ‹découper› les prestations d’un pasteur ou d’un aumônier entre celles relevant du soutien social ou de l’appui spirituel: à laquelle de ces deux missions relève, par exemple, la prise en charge d’une famille en deuil?».

Des ministres vaudois assurent en outre une permanence d’urgence pour accompagner les gendarmes lorsqu’il faut annoncer une mort violente à une famille. Les autorités souhaiteraient d’ailleurs davantage d’intervenants. Et pas question dans ce cas d’être dans l’évangélisation. «Il s’agit d’être là en période de crise pour aider les personnes à mobiliser leur propre réseau, à trouver les aides qu’elles pourront solliciter et à trouver leur autonomie face au drame qui les touche», résumait Line Dépraz, interviewée il y a quelques années par Protestinfo. Dans ces cas-là, la pasteure ne s’affichait d’ailleurs pas comme pasteure, mais comme membre de l’équipe de soutien.

L’Eglise vaudoise, comme ses Eglises soeurs, est également présente dans les lieux de soutien à l’intégration, dans des institutions de protection des mineurs, dans la pastorale de rue et dans des lieux d’enseignement. Avec là aussi une demande grandissante liée à l’augmentation de la population.

Des bénévoles au service de toutes et tous

Les Eglises soutiennent en outre plusieurs oeuvres: DM, Entraide protestante, Caritas, CSP… «Sans oublier que parfois l’offrande recueillie à la fin d’un culte est versée à une oeuvre d’entraide», souligne Pierre-Philippe Blaser, président du Conseil synodal fribourgeois. «Et il faudrait aussi parler de l’effet démultiplicateur de l’argent versé aux Eglises notamment grâce aux bénévoles», ajoute le pasteur.

Dans son «compte-rendu sur les prestations d’intérêt général 2020- 2021», l’Eglise réformée bernoise estime que «le total des prestations d’intérêt général accomplies par les paroisses, les entités régionales et l’Eglise nationale se monte à près de 143 millions de francs, soit environ 72% du total du roulement. La participation comptable de la subvention du canton pour les prestations d’intérêt général s’élève à environ 17,5%, sans tenir compte du travail bénévole». Le même document précise également que «le total des activités d’intérêt général gratuites et bénévoles se monte en moyenne à environ 588'000 heures, ce qui correspond en comparaison à près de 275 équivalents plein temps».

Le montant cumulé pour les différentes Eglises bernoises est même de «833'600 heures de travail, soit 400 équivalents plein temps», selon un communiqué commun de février 2024. Qui mentionne en outre les locaux ou d’autres infrastructures mis à disposition gratuitement à diverses associations ou oeuvres.