Indiens USA: «Chrétiens ? Plutôt disciples de Jésus»
Par Aline Bachofner
Il a fière allure Richard Twiss, dans son habit de peau orné de motifs tribaux, réhaussé de colliers de perles et d’os. Coiffé de plumes d’aigles, on le croirait sorti tout droit d’un film de cowboys et d’indiens. Mais c’est justement là l’image d’Epinal que cet Ancien de la tribu Sioux Lakota veut démonter.
« Ne dites pas ‘costume’ en parlant de nos vêtements comme si nous étions déguisés », demande Richard Twiss aux 800 participants de la conférence d’unification de la Communion mondiale des Eglises réformées (CMER), réunis dans un petit parc en plein centre de Grand Rapids.
Agglutinés sur un monticule face à la rivière, Indonésiens et Ecossais, Argentins et Australiens, Suisses et Nigérians sont invités à se joindre au traditionnel « pow wow » organisé régulièrement par les « Natifs » (Native Americans) de la région. Des chants, des danses, et un culte réformé ressemblant à aucun autre.
Une main tendueCar si ces Amérindiens sont associés à la Conférence d’unification, c’est qu’ils ont embrassé la foi chrétienne. Dans le fief conservateur de Grand Rapids, où les Eglises continuent de déverser leurs cars d’évangélisateurs chaque été dans les réserves indiennes, les organisateurs de la Conférence ont voulu tendre la main à leurs « frères en Christ ».
Souvent méprisés pour la façon dont ils vivent leur foi, peu conforme au rite réformé, les Amérindiens chrétiens sont invités à rejoindre une Communion d’Eglises où on leur assure qu’une place sera faite à leur particularité.
Cette ouverture, Richard Twiss aimerait y croire. Membre du conseil des Anciens de sa tribu dans la réserve de Rosebud du Dakota du Sud, il est également président de l’association Wiconi international, qui milite pour les droits politiques et sociaux et la sauvegarde du patrimoine culturel et spirituel des Indiens d’Amérique. Son expérience des Eglises américaines le pousse cependant à la prudence.
Le christianisme a été utilisé comme un instrument de colonisation contre mon peuple et aujourd’hui encore, des évangélisateurs continuent de prêcher que les Indiens doivent se couper les cheveux et délaisser leurs tambours pour devenir de vrais chrétiens.« Le christianisme a été utilisé comme un instrument de colonisation contre mon peuple et aujourd’hui encore, des évangélisateurs continuent de prêcher que les Indiens doivent se couper les cheveux et délaisser leurs tambours pour devenir de vrais chrétiens. »
Si c’est ça être chrétien, alors Richard Twiss ne veut pas en être un. « Je suis un disciple de Jésus, tout simplement. La chrétienté nous a détruits, mais Jésus, lui, est l’eau vive. Etre un disciple de Jésus fait de moi un bon père lakota, un bon époux lakota, un bon chef lakota. Il ne me demande pas de renier mon indianité », affirme le Sioux.
S’approprier l’EvangileIl a pourtant fallu des années à Richard Twiss pour concilier identité autochtone et foi chrétienne. « Longtemps j’ai cru que les deux s’excluaient, que je devais devenir Blanc pour être chrétien. Mais notre foi ancestrale en un Dieu créateur, que nous appelons « Grand Mystère », ou « Celui qui précède tout », n’est pas très éloignée du Dieu des chrétiens. Aujourd’hui, je peux lire la Bible avec mes yeux et non avec ceux de Calvin ou Luther.»
Lire la Bible avec ses yeux, c’est rompre avec une tradition théologique et philosophique faite par les Blancs, pour les Blancs. C’est aussi se distancer d’une société marquée par les Lumières qui ont « séparé la Création et l’Esprit ». Richard Twiss, lui, veut être tout entier ancré dans sa terre, qu’il frappe de ses pieds pour faire monter ses prières.
Une reconnaissance, pas des excusesL’homme dit ne pas attendre d’excuses de la part des Eglises ni de condamnation des théologies qui ont justifié la destruction de son peuple. Seulement le respect d’une théologie et d’une liturgie différentes, adaptées au contexte culturel indigène.
«L’Amérique est fondée sur une combinaison de colonialisme, d’impérialisme et de christianisme. La religion chrétienne est constitutive de son existence, les textes fondateurs se réfèrent à la Bible... Reconsidérer cette théologie, c’est questionner les fondements mêmes de ce pays. Les Américains n’y sont pas prêts», estime Richard Twiss.
Sur la colline du parc de Grand Rapids, le culte mené par Mary Fontaine, pasteure indigène de l’Eglise presbytérienne du Canada, s’achève par une prière en langue Cree. Les petits tambours de cérémonie sont remplacés par de gros tambours posés sur le sol et frappés par quatre ou cinq hommes. Le pow wow peut commencer.
Décrivant un large cercle, une quinzaine d’Indiens et une centaine des moins empotés parmi les délégués de la CMER se balancent d’une jambe à l’autre. Prier à la mode indienne n’est pas bien compliqué, il suffit de dépasser ses préjugés et de se laisser guider. Par l’esprit, le tambour ou les chants.
Le pow wow peut-il être autre chose qu’une agréable parenthèse dans un programme de conférence chargé ? Difficile en effet, pour certains représentants d’Eglises, de faire le lien entre cet événement et le but de la conférence. « J’ai du mal à considérer cela autrement que comme un show folklorique », reconnaît Pia Grossholz-Fahrni, observatrice de la Fédération protestante de Suisse.
Pour Judy Brewegen, originaire de Grand Rapids, le lien est plus évident. « Je crois que nous, les Américains, avions besoin d’entendre et de reconnaître les abus commis par certains de nos coreligionnaires à l’encontre d’une minorité qui continue d’être discriminée. » Le message de Richard Twiss (« nous devons en finir avec une théologie de cowboys ») a passé.
Reste que les incitations répétées des animateurs du pow wow à acheter les disques, les livres et l’artisanat indien dans la dizaine de stands installés dans le parc ont pu laisser croire qu’on était dans un show (business) autant que dans une célébration traditionnelle. « C’est toujours comme ça lors des pow wow, répond Richard Twiss en haussant les épaules. Les stands font partie de nos habitudes». Les traditions peuvent parfois être mercantiles.
Une communauté frappée par les inégalités
Les Indiens d’Amérique sont environ 2,7 millions* aux Etats-Unis pour une population totale de 291 millions d’habitants. Présents sur tout le territoire, ils sont particulièrement nombreux en Californie, en Oklahoma, en Arizona et au Nouveau Mexique, soit dans les Etats du Sud.
Circonscrits dans des réserves dès le milieu du XIXe siècle, les Indiens ont été incités à en sortir dès les années 50 pour s’assimiler au melting pot américain, explique Richard Twiss. Une loi appelée « Relocating Act » devait assurer un toit, l’accès à l’éducation et à un travail à tout « natif » qui s’installerait en ville.
« Aujourd’hui, 70 % des Indiens vivent dans les villes et non plus sur leurs terres, mais le Relocating Act n’a pas tenu ses promesses. Les places de travail n’ont pas été suffisantes et l’alcoolisme a fait des ravages dans une population coupée de ses racines culturelles et familiales », déplore Richard Twiss. Le niveau d’éducation s’est par contre nettement amélioré au cours des trente dernières années.
Le nombre de détenteurs d’un Bachelor a par exemple triplé entre 1980 et 2002. Il reste cependant largement inférieur au nombre de diplômés parmi la population blanche (29,4% de la population blanche ont un Bachelor contre 14,2% des « natifs »).
* source : U.S. Census Bureau