Ferveur évangélique au stade de Suisse
Quelque 30 000 personnes sont attendues, le 13 juin au stade de Suisse à Berne, pour la septième édition du "Jour du Christ". Les Eglises cantonales réformées y participeront, mais discrètement.
Par Pierre-Alain Heubi
Des milliers de chrétiens protestants rassemblés au stade de Suisse pour célébrer le Christ comme dénominateur commun, tel sera le visage du protestantisme helvétique, relayé par le TJ de 19h30 le 13 juin prochain. Un public bigarré, une ambiance bon enfant, des proclamations dans le sens d’un retour de la Suisse à son héritage chrétien et un appel à l’engagement pour que nos voisins et nos amis puissent «bénéficier de la providence divine», peut-on lire sur le flyer. Le mode et le ton sont donnés, l’événement sera populaire et militant.
On est surpris d’y découvrir la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) au rang des organisateurs, aux côtés du Réseau évangélique et de l’Alliance évangélique suisses. «Ce n’est pas la première fois que la FEPS soutient l’événement», explique Lucien Boder, l’un des deux délégués de la FEPS au comité d’organisation.
Réformé-compatible«La collaboration s’est très bien passée, explique-t-il. Nous avons notamment pu apporter des impulsions dans les aspects cultuels de la journée. Par exemple nous avons demandé et obtenu qu’on y dise le Notre Père communautairement.» De sages précautions ont donc été prises pour que l’événement soit le plus «réformé-compatible» possible.
«Les réformés progressent modestement, par capillarité, pas par de grands rassemblements démonstratifs», observe Maurice Baumann, professeur de théologie pratique à l’Université de Berne. «Un stade plein, un événement qu’on médiatise»: la signification induite d’un tel rassemblement l’interpelle. «J’y vois une démonstration de pouvoir», poursuit-il. Une ostentation qui pourrait être diversement interprétée dans la population, dans un contexte marqué par l’acceptation de l’initiative antiminarets.
Caution de la FEPSLe théologien perçoit quelque chose de biaisé dans la caution de la FEPS. «On fait croire qu’on pense tous la même chose. Je me demande si elle aurait agi de même si l’événement n’était pas promis à un pareil retentissement médiatique?», s’interroge-t-il.
«Dans l’organisation d’un tel événement, c’est le rôle de la FEPS de représenter les protestants de tendance évangélique de nos Eglises membres qui sont multitudinistes. En outre, nous entretenons des contacts avec les Eglises libres, et le Jour du Christ s’inscrit dans cette perspective», explique Simon Weber, porte-parole de la FEPS.
Lucien Boder renchérit: «On ne doit pas oublier que nos Eglises comptent un certain nombre de «doubles nationaux»*, des réformés qui se reconnaissent dans une piété de type évangélique.»
Christophe Monnot, assistant de recherche à l’Observatoire des religions en Suisse, observe que ce rassemblement est un bel exemple de la difficulté de «vivre ensemble» du protestantisme. Il est intéressant de relever que contrairement à d’autres pays, une célébration commune à tous les protestants peut être organisée en Suisse. «Un tel mélange de fédérations serait inimaginable aux Etats-Unis», affirme-t-il.
Tiédeur des Eglises cantonalesParmi les 30 000 chrétiens protestants attendus au stade de Suisse, on ne sait combien seront issus des Eglises réformées. Une minorité si l’on considère l’extrême discrétion avec laquelle les Eglises cantonales ont annoncé l’événement dans leurs rangs. A Berne comme à Neuchâtel, les paroisses n’en ont tout simplement pas été informées. «Ces Eglises ont reçu un courrier et un formulaire de commande de flyers en début d’année», précise le porte-parole de la FEPS.
A Genève, l’Eglise protestante, s’est montrée plus proactive: «Nous avons informé nos paroisses via nos courriers usuels et La vie protestante», explique Charlotte Kuffer, présidente du Conseil synodal de l’Eglise protestante de Genève (EPG). Elle ne se fait pas d’illusion: «L’événement ne suscitera pas un grand engouement, d’autant qu’on sera en plein mois de juin.»
La FEPS aurait pu faire davantage vis-à-vis du grand public: son site Internet a simplement relayé l’événement par l’entremise d’une bannière renvoyant au site du Jour du Christ, sans la moindre explication. Simon Weber relativise: «Les réformés de sensibilité évangélique figurent dans les fichiers des organisateurs, ils auront donc été contactés par ailleurs. Il faut relever l’excellent fonctionnement des réseaux dans ces milieux.»
Une explication qui trouve confirmation dans la paroisse neuchâteloise de l’Entre-deux-lacs, connue pour sa sensibilité évangélique, où un groupe se rendra bel et bien au stade de Berne le 13 juin. «Mais il aurait été du devoir de l’EREN d’informer toutes les paroisses», estime Danièle Rinaldi, présidente de ladite paroisse.
DES CHIFFRES
*Selon une étude de l’Observatoire des religions en Suisse, réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 200 pasteurs réformés, il y a un peu moins de 20% d’évangéliques dans les paroisses réformées de Suisse.
Cet article a été publié dans :
Le quotidien fribourgeois La Liberté.