Leçon d’adieu du professeur Daniel Marguerat à l’Université de Lausanne :"Chercher le Jésus de l'histoire a complètement changé mon regard sur les textes bibliques"

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Leçon d’adieu du professeur Daniel Marguerat à l’Université de Lausanne :"Chercher le Jésus de l'histoire a complètement changé mon regard sur les textes bibliques"

20 mai 2008
La figure de Jésus a changé, le jour où l’analyse narrative est apparue aux Etats-Unis il y a une vingtaine d’années et que des chercheurs se sont mis à l’appliquer pour interroger la Bible
Pionnier en Europe de cette approche, le professeur Daniel Marguerat a choisi, pour sa leçon d’adieu le 20 mai à la Faculté de théologie de Lausanne, d’évoquer ce qui, en 24 ans d'exégèse, a changé radicalement sa façon d’interroger le Nouveau Testament. Interview.La narratologie a changé votre regard sur les textes bibliques. Cette approche que vous avez privilégiée a considérablement modifié l’image de Jésus, aussi pour le grand public.J’ai eu la chance d’entrer dans la recherche en 1984, à une époque où l’on découvrait toutes sortes de nouvelles approches fort stimulantes. Parmi elles, le concept de l’analyse narrative des textes bibliques, que l’Américain Robert Alter a développée en 1981 dans « L’art de la narration biblique ». Je me suis initié à cette nouvelle méthode narrative à l’Université de Berkerley en Californie en 1992. Cette méthode m'est apparue comme complémentaire des autres outils de l'exégèse dont nous disposions, comme l'analyse historico-critique. J’ai eu la chance de conduire un programme de recherche sur le Jésus de l’histoire, au moment où toute une série de découvertes, notamment archéologiques, ont permis de mieux évaluer la personne de Jésus à travers les portraits diversifiés que nous en donnent les Evangiles. J’ai eu également recours à la sociologie. Je suis fasciné par la richesse des textes bibliques et les ignorances épaisses dont ils sont entourés.

De ces recherches nouvelles s’est dégagée une image nouvelle de Jésus : il est apparu comme un Juif bien intégré à sa religion, qui a pris une position singulière à l’intérieur même du judaïsme. Il n'a pas voulu fonder une nouvelle religion. Il ne s’est pas non plus élevé contre le judaïsme de son temps, mais a tenté de le réformer. Sa réforme a échoué.Qu’est-ce que l’analyse narrative ? C’est une méthode d’analyse des récits bibliques qui recherche la manière qu’ont eu les auteurs de construire leurs récits. Les histoires de la Bible ont d’abord été longuement façonnées par l’oralité, puis patiemment rédigées. Elles obéissent à des règles subtiles de composition. Derrière des histoires apparemment naïves se cache la fine stratégie d’un narrateur. L’analyse narrative permet d’aller dans les coulisses du récit, pour en observer la construction. Elle passe en revue la façon dont le narrateur compose les scènes, la fonction des dialogues dans le récit et des répétitions dans une histoire. Quel savoir le narrateur veut-il communiquer au lecteur et que lui cache-t-il ? A quel public s’adresse-t-il ? Quelle interaction y a-t-il entre le narrateur et le lecteur, auquel le texte était initialement destiné ? La façon de raconter une histoire dépend de la créativité du narrateur, des conventions sociales, de l’idéologie du milieu ambiant, du système de valeurs du groupe social, etc. Pour saisir la théologie, il convient de questionner sa stratégie narrative. La comparaison des Evangiles de Marc, Matthieu et Luc, témoigne d’une mise en récit différente d’une même histoire. Avec Yvan Bourquin, nous avons écrit un manuel d’initiation à l’analyse narrative, « Pour lire les récits bibliques » (aux éditions du Cerf). Un réseau francophone international d’analyse narrative s’est constitué. De jeunes exégètes ont été formés à ces nouvelles approches. La redécouverte des écrits apocryphes a également été importante dans la compréhension des textes bibliques. Absolument. Le travail d’édition et de traduction en français des écrits apocryphes, ces textes qui n'ont pas été retenus dans le canon de la Bible, s’est fait à Lausanne essentiellement, autour du professeur Jean-Daniel Kaestli, qui a permis de redécouvrir l’extrême pluralité du christianisme primitif. Cela a stimulé les exégètes à réinterroger le Nouveau Testament avec de nouvelles méthodes. Plusieurs de ces interrogations sont passées dans le grand public, notamment grâce à la série documentaire sur Jésus de Nazareth, réalisées par Jérôme Prieur et Gérard Mordillat, qui présente l'état de la recherche historique actuelle. J'y ai participé. J’ai voulu, à travers plusieurs de mes livres, communiquer avec simplicité des réalités complexes, sans pour autant en ôter la complexité.