Première mardi 23 janvier de "Ruth éveillée" de Denis Guénoun au Théâtre de Carouge (GE): Hervé Loichemol, une metteur en scène sidéré par la Bonté
22 janvier 2007
Première demain 23 janvier de « Ruth éveillée » de Denis Guénoun au Théâtre de Carouge à Genève
Après Abraham et Job, Hervé Loichemol a choisi d’arpenter une nouvelle fois la Bible, en mettant en scène l’histoire d’une jeune réfugiée qui court le risque d’émigrer dans une terre hostile par amitié pour sa belle-mère. Aujourd’hui,l’existence du Mal fascine partout, à la télévision, dans les médias, au cinéma, déplore le metteur en scène Hervé Loichemol qui se dit sidéré par la Bonté. « J’ai toujours été plus sensible au regard, au geste, à l’intonation du comportement généreux et digne ». Interview.Ruth, telle qu’elle nous est révélée dans le texte de Denis Guénoun, est une jeune femme bienveillante et obstinée qui refuse de quitter sa belle-mère, quand bien même cette dernière va rejoindre sa terre natale à la mort de son mari et de ses fils. Ruth risque gros à suivre Noémie en Israël, car elle est originaire d’un peuple ennemi. Elle accepte d’affronter la faim, de vivre dans la précarité et d’affronter la xénophobie par fidélité en amitié. Pourquoi cette histoire « sans faute », comme le dit l’écrivain Denis Guénoun, vous a-t-elle séduit?L’énigme de la bonté m’interpelle. Voyez l’histoire de l’abbé Pierre qui vient de mourir. Elle étonne. « Pourquoi il a fait tout ça ? » se demande-t-on. Plutôt que de chercher à savoir quels sont les moteurs psychologiques qui l’ont poussé à agir avec une constance inébranlable au service des plus démunis, je m’attache au geste bienveillant qui a sa valeur propre. Si l’on n’a pas fini de s’interroger sur le Mal, on se pose en revanche peu de questions sur le Bien. Aujourd’hui, ce qui nous assaille le plus souvent, c’est la violence. Elle exerce sur notre société une sorte de fascination et jouit d’un certain prestige. Prenez un George Bush ou un Saddam Hussein, ils impliquent un certain respect parce qu’ils emploient la force et manient le bâton. Quand on évoque la bonté, on l’associe à de la mollesse, de la mièvrerie et de la faiblesse. Voyez le temps qu’il a fallu, pour qu’en France on honore et salue le courage des Justes, qui ont été des héros du quotidien, qui ont fait le Bien. Il a fallu soixante ans ! A la Bonté, on préfère les conflits, l’agitation et la violence. Denis Guénoun a choisi le personnage principal du Livre de Ruth, l’un des plus sereins de l’ancien Testament, l’un des plus subversifs aussi. C’est ce qui m’a plu.Après vous être attaché à la figure de Job et à celle d’Abraham, vous vous intéressez à Ruth. Vous arpentez souvent les textes de la Bible, pourquoi ? Pourquoi pas ? Votre question est étrange. Je n’ai pas l’ombre d’une conviction religieuse mais je considère que la Bible fait partie de notre héritage culturel et qu’il est normal de l’explorer. La littérature s’en est largement inspirée au cours des siècles. Elle a influencé notre façon de penser en Occident. Nous avons un double héritage, grec et chrétien. Il me semble plus évident de nous intéresser à la Bible, qui a formé notre pensée et notre civilisation, plutôt qu’au Mahâbhârata. Quand on pense Bible, on pense souvent qu’elle est ennuyeuse. Quelle erreur ! Qui lit Le Livre de Ruth comme une simple idylle, rate le coche. La douceur du récit, l’énigme des rencontres et la sérénité du dénouement renforcent la tension de la situation et la violence des enjeux. Les acteurs ne sont pas contraints de mimer le sordide ou de se vautrer dans l’ordure, ils racontent la sortie possible d’une situation impossible. Ici, la bonté ne vient pas de loin, d’ailleurs ou de l’au-delà, elle est une position intime, une façon bien humaine de se tenir et d’y tenir. Cette partition émouvante parle d’exil, de protection, et de l’enrichissement né du mélange des cultures.Des sujets d'actualité aujourd'hui.