Un bouddha dans mon boudoir : Quand l’image zen fait vendre
24 août 2006
Des bouddhas et des ambiances zen pour vendre des salons ou des mouchoirs en papier, la Sainte Cène pastichée par les stylistes français Marithé et François Girbaud : les emprunts aux spiritualités orientales et les détournements iconoclastes du message chrétien par les publicitaires sont tendance
Que signifient-ils en réalité ? Réponse avec Gilles Lugrin, maître-assistant en linguistique à l’Université de Lausanne, qui a mené des recherches sur les genres publicitaires. Ces emprunts au religieux semblent de plus en plus fréquents. Sont-ils le reflet du bricolage spirituel actuel ?Il n’y a pas une recrudescence patente des allusions à la religion chrétienne : elles existent depuis fort longtemps. Ce qui en revanche est nouveau, c’est l’augmentation des allusions au bouddhisme. Dans le monde occidental, des Etats-Unis à l’Europe, le bouddhisme, ou une forme très élémentaire de cette religion, est à la mode. Le zen, associant position de lotus et bouddhisme dans notre imaginaire collectif, est tendance ; afficher une statuette d’un bouddha dans son salon permet est très in. Mais ces allusions restent très pauvres par rapport à la réelle richesse symbolique et spirituelle de cette religion. Les références à la culture judéo-chrétienne et au bouddhisme ne sont donc pas à confondre : l’une sert à attirer l’attention en présentant le plus souvent des allusions iconoclastes ; l’autre sert à être à la mode. Dans les deux cas, mais pour des raisons différentes, le religieux et le spirituel sont mis au service de l’idéologie consumériste.Pourquoi cette récupération alors qu’on assiste à une perte de l'identité religieuse d'une grande partie de la population ? Que l’on se dise croyant, athée ou agnostique, on baigne dans une tradition judéo-chrétienne. Les publicitaires estiment d'ailleurs que la croix chrétienne est le logo le plus célèbre. L'ensemble de notre quotidien est traversé, conditionné, qu’on le veuille ou non, que l’on en soit conscient ou pas, par notre fond culturel commun. La perte de vitesse du religieux explique en revanche que l’on puisse aujourd’hui rire de la religion, la présenter sous une forme caricaturale. À l’inverse, l’effacement du religieux chrétien explique l’émergence d’autres formes de spiritualité, indice d’un bricolage religieux propre à la culture occidentale contemporaine.On vend des bouddhas mais aussi des anges à la pelle. Sont-ils des gris-gris modernes ?Je dirais que c’est pire que cela. Souvent, on ne connaît pas le poids symbolique et spirituel que ces statues peuvent avoir pour les initiés. Un gris-gris possède une dimension mystérieuse, magique, que ces purs objets décoratifs perdent la plupart du temps en entrant dans nos salons.Le langage fait lui aussi de nombreux emprunts au vocabulaire religieux, est-ce parce qu'on a complètement perdu de vue la signification première et symbolique des mots empruntés ?C’est bien parce qu’ils signifient encore quelque chose auprès des gens qu’ils peuvent toujours être utilisés. Par exemple, le détournement d’une image de Jésus sur la croix ne peut être iconoclaste, que pour autant que l’on soit encore en mesure d’en identifier l’origine et le sens. De ce point de vue, la publicité participe à la transmission de notre iconographie et notre vocabulaire religieux en les rappelant, sous des formes tantôt sérieuses, tantôt blasphématoires, ce qui contribue à étayer notre fond culturel religieux commun.