Les évangéliques de Suisse, portrait-robot d’une Eglise en expansion
18 août 2006
En septembre paraît l’étude que le sociologue neuchâtelois Olivier Favre a consacrée aux Eglises évangéliques de Suisse
Mal connues, elles regroupent quelque 150'000 croyants au sein de 1500 communautés et Eglises. Les chrétiens de tendance évangélique ne se distinguent du « Suisse moyen » ni par leur revenu, ni par leur formation, puisque l’on compte parmi eux autant d’universitaires que dans le reste de la population, ni par leur habitat, puisqu’ils résident autant dans les villes que dans les campagnes. C’est leur mode de vie et leurs positions morales qui diffèrent : plus de 80% des Evangéliques lisent la Bible tous les jours, prient quotidiennement et se rendent au moins une fois par semaine au culte. Ils ont davantage d’enfants (1,9 enfants par femme contre 1,4) et les mères occupent moins souvent un emploi rémunéré que le reste de la population. Enfin, 50% des Evangéliques ne votent pas pour les partis qui leur sont traditionnellement proches, comme l’Union démocratique fédérale (UDF) ou le Parti évangélique (PEV). Ils témoignent d’une ouverture politique que leurs positions idéologiques (généralement opposées à l’avortement, à l’homosexualité et aux relations sexuelles avant le mariage) ne laissent pas deviner. Olivier Favre, sociologue et pasteur de l’Eglise évangélique apostolique de Neuchâtel, a mené l’enquête au travers d’une étude portant sur 1100 questionnaires. Il casse quelques clichés.Vous estimez que près de 150'000 chrétiens, en Suisse, sont membres d’une Eglise évangélique. Il s’agit cependant d’un milieu méconnu, dont les frontières sont floues puisqu’il regroupe aussi des protestants engagés comme pasteurs dans l’Eglise réformée officielle. Quels sont les traits permettant de les distinguer ?On estime que les évangéliques représentent près de 2% de la population suisse, voire près de 3% si l’on y ajoute les évangéliques membres des paroisses réformées. Par rapport aux Eglises officielles, c’est une Eglise en expansion, de 0,5 à 1% ces dernières années. Cinq caractéristiques leur sont propres : l’importance donnée à l’autorité de la Bible et du Christ ; l’aspect missionnaire, puisque tout chrétien évangélique entend diffuser sa foi autour de lui ; l’insistance accordée à la conversion personnelle, soit au moment où il décide de vouer sa vie à Jésus. Enfin, le fait de se sentir d’abord chrétien évangélique, membre d’un même milieu, plutôt que membre d’une paroisse.Vous décelez pourtant des différences au sein de ce même milieu.Un tiers des chrétiens évangéliques se reconnaissent dans les Eglises pentecôtistes ou charismatiques. Ils accordent une place importante, dans le culte, à la musique et à la louange. Ils croient au baptême du Saint-Esprit et aux dons spirituels accordés aux adeptes (par ex. le don de guérison, ndlr.) Plus de la moitié des évangéliques se reconnaissent dans le groupe des « modérés », le plus proche du protestantisme officiel. Dans le canton de Berne par exemple, l’Evangelische Gemeinschaft ne s’est jamais vraiment séparée de l’Eglise officielle. Se rattachent également à cette tendance les Eglises méthodistes, l’Eglise libre de Genève ou de Neuchâtel, et les 37 Assemblées et Eglises Evangéliques de Suisse romande (AESR). Dans cette partie du pays, le nouveau Réseau évangélique réunit donc les « modérés » et les charismatiques.
A l’opposé, dix pour cent des évangéliques regroupent des chrétiens très conservateurs, connaissant des normes d’habillement parfois strictes et opposés à toute collaboration avec l’Eglise réformée. En Suisse romande, il s’agit des darbystes ou du Bruderverein en Suisse alémanique.Par rapport à l’ensemble de la population suisse, les évangéliques défendent une morale très conservatrice« Pour un évangélique, la Bible a été inspirée par Dieu lui-même et ne doit pas être lue au second ou au troisième degré, même si elle peut être réactualisée. Par exemple, même si Saint Paul affirme que la femme doit porter un voile pour prier, la plupart des évangéliques ne le font pas. Ils conservent cependant une morale judéo-chrétienne traditionnelle (condamnation de l’avortement ou de l’homosexualité, ndlr). Par conséquent, dans les médias, l’image de marque des évangéliques n’est pas bonne ; soit l’on ignore de quoi il s’agit, soit on livre un cliché rigoriste de gens peu impliqués dans la société. On méconnaît les engagements démocratiques et humanistes d’avant-garde de l’Eglise évangélique, qu’il s’agisse d’Henri Dunant, co-fondateur de l’Alliance évangélique de Genève et père de la Croix-Rouge, de l’Armée du Salut, qui fit scandale à ses débuts en permettant aux femmes de prêcher, ou du pentecôtisme, une des premières communautés à réunir Noirs et Blancs au Etats-Unis. Aujourd’hui, bien des évangéliques restent convaincus que la société leur demande un engagement dépassant la défense d’une morale judéo-chrétienne. Mais ils peinent à communiquer ces nuances. »La méfiance du public ne s’explique-t-elle pas par l’impression que ces Eglises font feu de tout bois pour se gagner des adeptes (publications tapageuses, cultes « branchés » destinés aux jeunes, cours Alpha) et financer leurs activités ?« Il peut y avoir des maladresses dans la manière d’énoncer le message. Utiliser une forme adaptée et contemporaine, comme le fait l’International Christian Fellowship de Zurich, ne pose pas de problème en soi ; il ne faut cependant pas que la forme l’emporte sur le fond. Les cours Alpha, ces soirées de discussion ouvertes à tous, dispensant un catéchisme de base suivi d’un repas, sont souvent donnés ici par des chrétiens dont la foi est évangélique. Ces cours ont cependant été créés en Angleterre par l’Eglise anglicane, et en France ce sont les catholiques qui les reprennent et les diffusent avec succès. Quant à la dîme, soit au fait de verser 10% du salaire pour financer les activités de l’Eglise, c’est un principe tiré de l'Ancien Testament que beaucoup d'évangéliques pratiquent. Il permet à l’Eglise de payer les salaires, mais en principe personne ne sait qui donne ou dans quelle ampleur.»Olivier Favre (2006), Les Eglises évangéliques de Suisse, Labor et Fidès, Genève
A l’opposé, dix pour cent des évangéliques regroupent des chrétiens très conservateurs, connaissant des normes d’habillement parfois strictes et opposés à toute collaboration avec l’Eglise réformée. En Suisse romande, il s’agit des darbystes ou du Bruderverein en Suisse alémanique.Par rapport à l’ensemble de la population suisse, les évangéliques défendent une morale très conservatrice« Pour un évangélique, la Bible a été inspirée par Dieu lui-même et ne doit pas être lue au second ou au troisième degré, même si elle peut être réactualisée. Par exemple, même si Saint Paul affirme que la femme doit porter un voile pour prier, la plupart des évangéliques ne le font pas. Ils conservent cependant une morale judéo-chrétienne traditionnelle (condamnation de l’avortement ou de l’homosexualité, ndlr). Par conséquent, dans les médias, l’image de marque des évangéliques n’est pas bonne ; soit l’on ignore de quoi il s’agit, soit on livre un cliché rigoriste de gens peu impliqués dans la société. On méconnaît les engagements démocratiques et humanistes d’avant-garde de l’Eglise évangélique, qu’il s’agisse d’Henri Dunant, co-fondateur de l’Alliance évangélique de Genève et père de la Croix-Rouge, de l’Armée du Salut, qui fit scandale à ses débuts en permettant aux femmes de prêcher, ou du pentecôtisme, une des premières communautés à réunir Noirs et Blancs au Etats-Unis. Aujourd’hui, bien des évangéliques restent convaincus que la société leur demande un engagement dépassant la défense d’une morale judéo-chrétienne. Mais ils peinent à communiquer ces nuances. »La méfiance du public ne s’explique-t-elle pas par l’impression que ces Eglises font feu de tout bois pour se gagner des adeptes (publications tapageuses, cultes « branchés » destinés aux jeunes, cours Alpha) et financer leurs activités ?« Il peut y avoir des maladresses dans la manière d’énoncer le message. Utiliser une forme adaptée et contemporaine, comme le fait l’International Christian Fellowship de Zurich, ne pose pas de problème en soi ; il ne faut cependant pas que la forme l’emporte sur le fond. Les cours Alpha, ces soirées de discussion ouvertes à tous, dispensant un catéchisme de base suivi d’un repas, sont souvent donnés ici par des chrétiens dont la foi est évangélique. Ces cours ont cependant été créés en Angleterre par l’Eglise anglicane, et en France ce sont les catholiques qui les reprennent et les diffusent avec succès. Quant à la dîme, soit au fait de verser 10% du salaire pour financer les activités de l’Eglise, c’est un principe tiré de l'Ancien Testament que beaucoup d'évangéliques pratiquent. Il permet à l’Eglise de payer les salaires, mais en principe personne ne sait qui donne ou dans quelle ampleur.»Olivier Favre (2006), Les Eglises évangéliques de Suisse, Labor et Fidès, Genève