A Genève et Vevey, les ados des quartiers sensibles s'estiment mieux lotis que dans les banlieues françaises

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A Genève et Vevey, les ados des quartiers sensibles s'estiment mieux lotis que dans les banlieues françaises

11 novembre 2005
Qu’ils habitent Le Lignon à Genève ou un quartier populaire à Vevey, les 13 – 25 ans partagent une même opinion : ils admettent les revendications des jeunes Français mais soulignent que leur propre réalité sociale est bien différente
Jean-Michel Perret, pasteur auprès des jeunes à Genève, a débattu du sujet avec deux groupes d’ados. A Vevey, Stéphane Hurzeler, éducateur de proximité en a fait autant. Bilan : les jeunes romands ont encore le sentiment d’être entendus.Mêmes goûts musicaux, même langage, même look, les ados d’où qu’ils soient, de la banlieue genevoise ou de celle de Paris, partagent des codes d’appartenance identiques, avec en toile de fond une quête d’identité propre à leur âge. Tous ou presque ont conscience de représenter une couche sociale défavorisée. Cependant, les préoccupations des uns et des autres divergent. C’est le constat qu’ont pu tirer Jean-Michel Perret, pasteur auprès des jeunes à Genève et Stéphane Hurzeler, éducateur de proximité à Vevey après avoir écouté les réflexions des ados dont ils ont la charge.

« Ils ont suivi le problème des banlieues françaises, note Stéphane Hurzeler, mais à travers les médias. Même s’ils comprennent les revendications, ça ne les touche pas vraiment. Ils ont conscience de vivre une réalité sociale différente, ils se disent plus ou moins contents de ce qu’ils ont ». L’animateur veveysan a recueilli les propos d’une trentaine de jeunes de 15 à 25 ans. Il ne relève pas de révolte contre une société injuste qui ne s’occuperait pas d’eux ; quant aux difficultés d’intégration, elles ne semblent tout simplement pas exister. Il est vrai que Vevey est un cas particulier. La ville compte une centaine de nationalités différentes, 60% de la population des moins de vingt ans est étrangère et pourtant la xénophobie et le racisme n’y ont pas cours, selon Stéphane Hurzeler : « Il n’y a pas de concentration de quelques nationalités qui pourraient conduire à des formes de ghettos ». Les nationalités se côtoient le plus naturellement du monde.

La ville a vécu des années sombres lorsque les Ateliers mécaniques ont fermé, aussi la sensibilité au chômage y est-elle différente qu’en d’autres lieux. Le tissu socioculturel est très dense, les petits bistrots sont nombreux, les lieux de rencontre aussi. Lors de la fermeture des Ateliers mécaniques, la ville a choisi de soutenir les projets d’association et les initiatives culturelles. Aujourd’hui, Vevey bénéficie d’un bon nombre de structures d’encadrement, d’accueil et de soutien. Le dispositif présent auprès des jeunes est étoffé et permet de combler un certain nombre d’attentes. « Même si ce n’est pas parfait, les ados ont encore le sentiment d’être pris en considération, qu’il soit question de chômage ou de places d’apprentissage, ils savent qu’ils peuvent être entendus ».

La réalité quotidienne des jeunes du Lignon à Genève n’est pas fondamentalement différente. Ce qui se passe en France ne les touche pas davantage. Même si la cité connaît une violence diffuse (racket, voitures incendiées, insultes), celle-ci fait partie du décor, de façon plus ou moins apprivoisée. En aucun cas, elle ne saurait être le détonateur d’éventuels débordements. Les revendications françaises ne touchent que superficiellement les ados du Lignon, ils affirment comprendre mais ne se sentent pas solidaires pour autant. Eux-mêmes ont leurs propres difficultés et elles les occupent suffisamment. Jean-Michel Perret, pasteur auprès des jeunes à Genève: « Leurs grands soucis sont basiques, ils trouvent leur source dans la famille, au cycle, chez les copains, dans le sport, pour peu que quelque chose déraille dans ces domaines, c’est la prise de tête. On pousse trop les jeunes, on exige trop d’eux, le découragement s’ensuit et c’est l’échec. Les ados ont besoin d’activités ou d’espace sans être sous pression».

De la vingtaine de jeunes de 13 – 15 ans avec laquelle le jeune pasteur a dialogué, seuls quelques « agités » ont osé la provocation : « Ouais, c’est l’anarchie, c’est cool » ou « Les voitures qui crament, elles pollueront plus ! » mais ils ont très vite été ramenés à la raison par le reste du groupe. Pour le pasteur Perret, les jeunes ont su analyser lucidement les actes des banlieusards français en mettant le doigt sur les mobiles qui ont conduit aux saccages et autres incendies. Commentaire de l’un d’eux : « La police à Genève, c’est pas la police française ! » Il n’empêche, la cité n’est pas entièrement à l’abri de quelques manifestations solidaires isolées, le mouvement français pourrait faire des émules. Des bruits le laissent entendre.

Sur la base d’une anecdote survenue il y a peu dans un immeuble, Jean-Michel Perret a cherché à leur faire comprendre que les actes anonymes rendaient la violence extrêmement forte. Entre le geste anodin mais imbécile des celui qui boute le feu à une poubelle et la découverte du sinistre, la perception de la violence a décuplé.

Sur l’échelle sociale suisse, les jeunes des cités sont mal lotis ; pourtant de leur aveu même, ils s’estiment encore privilégiés par rapport aux jeunes des banlieues françaises. Leur vision d’avenir n’est pas complètement obstruée, les rêves et les projets leur sont encore permis. Du moins tant qu’ils pourront bénéficier de structures d’encadrement et compter sur une écoute attentive.

Pour l’heure, le dialogue existant suffit à contenir les frustrations, empêchant qu’elles ne dégénèrent en revendications. Gagner la confiance des jeunes des cités est un long travail. Jean-Michel Perret : « Il ne suffit pas d’envoyer des personnes en mission dans les cités, encore faut-il qu’elles puissent nouer des liens durables. Raison pour laquelle il demeure primordial que les actions menées auprès des populations en risque de rupture s’inscrivent dans la durée ».