De l’exclusion à l’intégration : une historienne catholique écrit l’histoire des protestants du Valais

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De l’exclusion à l’intégration : une historienne catholique écrit l’histoire des protestants du Valais

21 juillet 2005
Vice-présidente de la Commune de Martigny, musicienne enthousiaste, catholique convaincue, Dominique Delaloye n’a pas froid aux yeux : elle s’est attelée à l’histoire de la minuscule minorité protestante venue au 19e siècle en Valais et qui a contribué à son essor industriel et touristique
Son travail fait l’objet d’un livre qui vient de paraître, « La présence des Réformés en Valais au XIXe et au XXe siècles ». Il retrace pour la première fois l’histoire des protestants du canton.Les recherches de Dominique Delaloye comblent un vide. La jeune femme a dû surmonter les réticences des uns et des autres, tant catholiques que protestants, qui répugnaient à remuer la douloureuse histoire des guerres de religion et des tensions qui s’ensuivirent. Bien décidée à retracer l’histoire des familles venues des cantons réformés, elle se mit vaillamment en quête de traces écrites, fouillant les archives fédérales, cantonales et diocésaines. Elle trouva auprès de Jacques Nicole, ancien pasteur de la paroisse réformée de Martigny et Saxon, de chaleureux encouragements. Elle n’eut pas pour autant accès aux archives des réformés, jamais véritablement classées ni explorées.

Aucun protestant ne s’est semble-t-il, attelé à l’histoire de sa communauté, sans doute pour ne pas réveiller les démons du passé et éviter de se confronter à l’hostilité et aux préjugés dont elle fut victime. A croire que la minorité réformée, dans son souci de s’intégrer et de vivre en bonne harmonie, se soit inconsciemment conformée à l’ancienne injonction de la diète de 1592, enjoignant les requérants protestants à « se tenir quoys et paisibles ». L’assemblée leur avait même conseillé de « se transporter en d’autres lieux où ils pourraient vivre selon leur confession », si l’interdiction de la liberté de culte leur pesait trop. Les adeptes de la toute nouvelle Réforme se le tinrent pour dit. Eradiqués du Vieux-Pays au milieu du 17e siècle, ils ne sont plus signalés nulle part.Semeurs de zizanie Ce n’est qu’au 19e siècle, relève la chercheuse, que « les semeurs de zizanie », selon les mots mêmes du Père Sulpice Crettaz qui, en 1939, voyait en eux des « sectaires acharnés qui ont une pernicieuse influence », revinrent s’installer dans la plaine du Rhône. C’est cette époque que Dominique Delaloye a tout particulièrement étudiée, parce qu’elle a été marquée par leur retour, lié à l’industrialisation du pays et à son ouverture au tourisme, et par les réactions plutôt vives que suscita cette présence protestante, vécue par le clergé et la population comme une agression contre un mode de vie séculaire et une pratique religieuse dominante, et comme un danger pour la stabilité sociale et politique.

Or, remarque la chercheuse, ces protestants, originaires des cantons suisses, - Berne, Vaud et Genève venant en tête -, cherchent simplement à assurer un avenir meilleur à leurs familles et à vivre en accord avec leur foi, se gardant de tout prosélytisme qui ne ferait qu’attiser méfiance et les hostilité. On appelle ces nouveaux arrivés les « protestants disséminés », en référence au mot grec « diaspora ». Des sociétés de secours leur viennent en aide financièrement et leur envoient des prédicateurs occasionnels. Ce n’est qu’en 1858 qu’un premier pasteur est envoyé à demeure à Sion : Emmanuel Schiess vient du canton d’Appenzell et a un sérieux atout, il est bilingue. Sa paroisse s’étend de Martigny au Glacier du Rhône et il parcourt les vallées latérales en diligence ou avec le cheval du cordonnier. La légende qui circule parmi ses descendants actuels veut qu’il ait été reçu à coups de pierres, mais l’historienne valaisanne corrige : le ministre, arrivé avec sa femme et ses neuf enfants, fut accueilli par le président du Conseil d’Etat valaisan, alors même que le cadre institutionnel n’octroyait aucune reconnaissance aux protestants.Raclées entre gamins « Ce sont surtout les gamins qui se cherchaient des noises sur le chemin de l’école protestante qui avait été créée par la communauté réformée, et la hiérarchie catholique qui prêchait la diabolisation de la nouvelle religion», précise la chercheuse. Le clergé valaisan met alors sévèrement en garde les catholiques contre les sociétés de tempérance que les protestants mettent sur pied et menace ceux qui les fréquentent d’être « dans le péché ». Les autorités religieuses appellent aussi au boycott des bibliothèques et des journaux réformés, dont la lecture est considérée comme « un empoisonnement lent ». Les bibles, colportées par des « mômiers » itinérants, sont considérées comme des livres de perdition. Au 16e siècle déjà, l’abbé de St-Maurice fit brûler des bibles et des livres hérétiques par la main du bourreau. « On ne lisait pas la bible, mais on apprenait le catéchisme par cœur », explique l’historienne.

Il faut attendre la Constitution valaisanne de 1875, rappelle Dominique Delaloye, pour que soient garantis la liberté de croyance et de conscience ainsi que le libre exercice du culte protestant. Et ce n’est qu’un siècle plus tard, en 1974, que l’Eglise Evangélique Réformée du Valais est reconnue au même titre que l’Eglise catholique romaine, et que les rapports s’améliorent sensiblement entre les deux communautés sous l’impulsion du Concile de Vatican ll. Des ses recherches, de ses discussions avec ses différents interlocuteurs, des contacts qu’elle a noués à la suite des conférences qu’elle a données notamment à l’Université populaire de Martigny, devant les femmes du PDC de Monthey et pour l’Association des généalogies de Suisse romande à Bex, Dominique Delaloye dit avoir appris à mieux comprendre son canton, mais aussi les mécanismes de l’intolérance. « Je me sens plus ouverte à l’égard de ceux qui adoptent des positions conservatrices ; il faut un temps pour tout, poursuit-elle, philosophe, un temps pour vaincre la méfiance, pour ne pas se sentir en danger, et pour s’ouvrir aux autres ». Une compréhension patiente de l’autre qu’il faut plus que jamais cultiver dans le dialogue avec la communauté… musulmane du Valais qui se place désormais en tête des statistiques, après celle des catholiques.