Avec son " auto jaune", le chanteur Dominique Scheder traverse la folie en cahotant

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Avec son " auto jaune", le chanteur Dominique Scheder traverse la folie en cahotant

9 juin 2005
« Je suis un fou, c’est officiel ! ». Le diagnostic est tombé comme un couperet : schizophrénie paranoïde évolutive
De délires psychotiques en dépressions, le chanteur Dominique Scheder traverse depuis 30 ans gouffres et coups de blues dévastateurs. Mais la vie a le dernier mot : aujourd’hui, il est debout, travaille au Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP), enregistre un nouveau disque et sort un livre aux éditions Favre, dans lequel il parle de sa folie et de sa « résurrection » avec des mots lucides et ingénus. Prenant.« Il y a une douleur qui ne s’écrit pas ». Les périodes où il n’en peut plus, le carnet de notes de Dominique Scheder reste fermé . Muet sur les années d’enfer. « On est si mal qu’on boufferait des pierres, si cela nous calmait un peu ». La camisole chimique le leste mieux que des pierres, d’ailleurs. La moindre action devient geste d’oiseau mazouté. « On devient gros, lourd et empâté », résume-t-il sobrement.

Le plaisir des mots, qui lui est venu dans l’enfance, il s’y raccroche quand il émerge de ses gouffres intérieurs. « L’écriture te sauvera ! » lui soufflait une petite voix intérieure. Il l’a écoutée à chaque fois que la vie reprenait le dessus. Sur ses cahiers, il se rappelle sobrement les sorties de ses harassantes traversées de l’hiver, mais aussi les mots de révolte, de douleur et de rejet de ceux qui le blessent: « J’ai mal de vous, de vos médiocres amours, de vos pingres moments de tendresse, comme si on allait tout vous prendre ». Mais le poète prend toujours le dessus et Dominique Scheder prend des chemins de traverse vers les joies simples de son enfance champêtre. Il grappille des souvenirs dans son enfance passée à Villars-Burquin au pied du Jura vaudois, des préaux des années 50-60, se souvient de ses vagabondages le long des ruisseaux et des chemins, dont il connaît chaque fleur. Parfois affleure une douleur enfouie dans l’enfance, la sécheresse de la mère et les cuites du père, conducteur de car postal, jaune comme il se doit. Jaune aussi était la couleur du fourgon qui venait chercher, dans les années 60, ceux qui avaient pété les plombs, pour emmener à l’asile psychiatrique de Cery. Jaune enfin est la petite bagnole intérieure qu’il se bricole, cahotante comme une deuche de l’époque de toutes les contestations auxquelles il adhérait alors en chanteur engagé. Avec elle, il nous embarque dans son monde fragile, jalonné de gestes de tendresse et de mains tendues, et dont il nous révèle la bouleversante humanité. Son témoignage nous rappelle en filigrane que la seule grande affaire qui occupe chacun d’entre nous, c’est d’aimer et d’être aimé et d’être accepté dans sa différence. Quand on est zinzin, la survie ne tient qu’à un fil, celui de l’amour. Encore faut-il pouvoir percevoir ces moments de grâce, ces éclairs d’humanité qui nous sont donnés. Cet essentiel qu’on partage quand on n’a presque rien devient alors une force de résurrection. Un mot qu’aime tout particulièrement Dominique Scheder qui a renoué avec la foi, cette « réalité aimante » qui le relie à l’univers. « J’ai cessé d’être fou quand j’ai découvert que la réalité est plus belle, plus folle que le plus fou de mes délires ». Utile « L’auto jaune », parcours au travers d’une folie , Dominique Scheder, 258 pages, éd. Favre, avril 2005.