Annick de Souzenelle met la Bible en relation avec la quête de sens du lecteur

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Annick de Souzenelle met la Bible en relation avec la quête de sens du lecteur

18 mai 2005
Théologienne catholique convertie à l’orthodoxie, Annick de Souzenelle livre une interprétation décapante de la Genèse
Evitant le double écueil du fondamentalisme et du rationalisme, elle redécouvre la verticalité et la symbolique d’un texte fondateur de civilisation.La Bible fut le socle de notre civilisation et demeure le livre saint pour les Juifs et les chrétiens. Pourtant, elle offre de moins en moins de nourriture spirituelle aux Européens. Les Evangiles mis à part, les différents livres des Ecritures paraissent peu crédibles aux lecteurs d’aujourd’hui et ne leur parlent plus. La Genèse figure sans doute dans le peloton de tête des textes les plus concernés par cette perte de sens. Dans un ouvrage remarquable* cosigné avec Frédéric Lenoir, historien des religions et directeur de la rédaction du Monde des religions, Annick de Souzenelle démontre que l’Ancien Testament peut encore nous parler en revenant aux sources des lettres hébraïques.

« Non crédible sur le terrain de l’histoire, discutable sur le plan moral, sans signification spirituelle explicite, susceptible de nourrir la foi des croyants, quel intérêt peut-on encore trouver à lire les premiers chapitres de la Genèse ? », se demande Frédéric Lenoir dans l’introduction de L’Alliance oubliée. En 40 ans de recherche, la réponse d’Annick de Souzenelle, théologienne catholique convertie à l’orthodoxie, consiste à éviter un double écueil. Celui d’une lecture littérale, rendue « insoutenable » par les connaissances actuelles. « On ne trouve nulle mention en Egypte ou ailleurs du passage des Hébreux, des plaies épouvantables qui frappèrent les Egyptiens et de la sortie pour le moins spectaculaire des Juifs. Nulle trace historique non plus de la longue pérégrination du peuple hébreu, pas plus que de sa conquête de Canaan ». On sait aussi que le récit de la chute du mur de Jéricho est mis à mal par les révélations archéologiques « révélant que les villes de l’époque n’avaient pas de murailles ». On s’étonne encore de ne pas trouver mention du règne de Salomon, présenté par la Bible comme un souverain majeur. L’idée d’un texte écrit par Moïse a également fait long feu. « Les sources de la Torah, les cinq livres fondamentaux de la Loi dans l’Ancien Testament, ont été pour la plupart écrites, rassemblées et unifiées bien plus tard, entre le VIIe et le Ve siècle avant Jésus-Christ, dans le contexte traumatisant de l’effondrement du royaume d’Israël (-721), puis de l’exil à Babylone ». L’impuissance politique de la nation juive a alors été « compensée par l’écriture de son histoire et de son lien particulier au Dieu unique, censée garantir son existence sociale et morale ».

Bref, le texte demande à être interprété. Mais pour Annick de Souzenelle, si, d’un point de vue rationnel l’interprétation historico- critique est devenue seule valable, elle n’est pas pour autant la seule légitime. Car tout comme l’approche fondamentaliste, elle « matérialise » le texte, au détriment de ce que les Juifs appellent « midrach », « l’enquête infinie ou mise en relation du texte institué avec un lecteur en quête de sens ». Pour le croyant, il existe d’autres niveaux de lecture, « renvoyant à un autre ordre de vérité plus intérieur et subjectif, porté par la foi et par une logique symbolique ». Il est donc possible de lire un passage religieux « avec une autre rationalité, qui laisse davantage de place à l’intuition, au coeur, à la foi ».

C’est cette troisième voie que la théologienne française recherche dans sa lecture renouvelée de la Bible hébraïque, dont elle rappelle qu’elle s’ouvre naturellement à une infinité d’interprétations. Aiguillonnée par les questions de Frédéric Lenoir, Annick de Souzenelle tente de retrouver la verticalité du texte, à travers une approche symbolique et mystique. Elle perçoit dans les Tables de la Loi la révélation de principes ontologiques qui nous fondent et que nous oublions, dans l’épisode d’Adam le drame d’un être exilé de son espace intérieur, devenu étranger à lui-même. Dans la traduction que la théologienne, Dieu ne demande par exemple pas à Abraham (Gen 12,1) : « Va, quitte ton pays, le pays de ton enfance » mais « Va vers toi ». Une démarche exigeante et passionnante pour sortir de la simple approche intellectuelle et trouver de nouveaux chemins de vie. UTILE*Annick de Souzenelle et Frédéric Lenoir, L’Alliance oubliée : La Bible revisitée, chez Albin Michel.