Le pape s'en prend aux féminisme: Réaction de deux théologiennes catholique et protestante

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Le pape s'en prend aux féminisme: Réaction de deux théologiennes catholique et protestante

6 août 2004
Dans un document du Vatican publié fin juillet, Jean-Paul II s’en prend au féminisme qu’il accuse d’inciter à la contestation en s’obstinant à souligner « fortement la condition de subordination de la femme »
Cette « lettre aux évêques de l’Eglise catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Eglise et dans le monde » montre également du doigt celles qui, pour éviter toute suprématie d’un sexe sur l’autre, cherchent à gommer leurs différences. Réaction à Fribourg de la théologienne catholique Regula Strobel et à Genève de la pasteure Isabelle Graesslé, privat docent de l'Université de Berne. Pour les auteurs de la missive papale signée par le cardinal Joseph Ratzinger, chef de la Congrégation de la doctrine de la foi, le refus de tout déterminisme biologique et l’occultation de la différence des sexes et de leur dualité a inspiré des idéologies qui remettent en question la famille, la bi-parentalité ainsi que « la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe ». La missive précise que « la racine immédiate de cette tendance se trouve dans le cadre de la question de la femme ». Voilà qui est clair.

Le document reproche également au féminisme de prôner une lecture critique des Ecritures « qui véhiculeraient une conception patriarcale de Dieu, entretenue par une culture essentiellement machiste ». Jean-Paul II salue le rôle « inestimable et irremplaçable » de la femme à tous les niveaux de la vie familiale et sociale et souligne sa vocation au service des autres.

« Différents depuis le début de la création et demeurant tels jusque dans l’éternité, insiste le document papal, l’homme et la femme insérés dans le mystère pascal du Christ, ne saisissent plus leur différence comme un motif de discorde qu’il faut dépasser par la négation ou par le nivelage, mais comme une possibilité de collaboration qu’il faut cultiver par le respect réciproque de leur différence ».

Jean-Paul II insiste sur le génie de la femme au sein de la famille et souhaite que soit valorisé son travail au foyer. Il se réfère au modèle d’humilité de Marie et surtout à sa capacité d’amour.

Fait nouveau : le Saint Père encourage la présence des femmes dans le monde du travail et dans toutes les instances de la société et souhaite qu’elles puissent avoir accès à des postes à responsabilités pour leur donner la possibilité « d’y inspirer les politiques des nations et de promouvoir des solutions nouvelles pour les problèmes sociaux et économiques ». Il demande enfin l’harmonisation de la législation et une organisation du travail compatibles avec les exigences de la mission de la femme comme éducatrice et mère de famille.L’humanisation de la société, laissée aux femmesCollaboratrice scientifique auprès du service de lutte contre la violence au sein du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, la théologienne catholique Regula Strobel se montre très partagée à la lecture de ce document. Elle salue l’encouragement à prendre des mesures sociales et économiques pour que les femmes puissent concilier profession et tâches familiales. Mais elle déplore qu’une fois encore, la répartition des tâches professionnels et familiales entre hommes et femmes ne soit jamais évoqué.

Elle trouve suspecte l’insistance des auteurs du document à souligner le sens de l’autre qui serait proprement féminin : « Toute société, toute économie et toute Eglise devraient avoir comme point central le sens et le service de l’autre, ce ne sont pas seulement les femmes qui doivent participer à l’humanisation de la société, remarque Regula Strobel. A valoriser les femmes pour leurs talents à soigner les plaies de la société, on occulte le fait que ce sont en fait les deux sexes qui ont été invités à continuer la création de Dieu et à en prendre soin. « La qualité d’exister pour les autres n’est pas un devoir délégué aux femmes uniquement ».« On culpabilise les victimes » La théologienne catholique est agacée par la façon dont la soi-disant lutte des sexes soit attribuées aux femmes : « Une fois encore on culpabilise les victimes, je ne peux pas souscrire à cette manière de voir, je n’ai jamais rencontré une seule féministe qui nie la différence biologique entre homme et femme. Ce que les féministes remettent en cause, c’est ce qu’on a fait de cette différence biologique, comment on l’a utilisée pour construire une structure de subordination/discrimination des femmes dans la société et dans l’Eglise. La lutte pour l’égalité des droits ne se fait pas contre l’homme, - il n’est pas notre ennemi -, tient-elle à préciser, elle se fait contre toute discrimination, qu’elle soit sexuelle, raciale, sociale, religieuse ou autre. Les femmes qui luttent pour l’égalité des droits invitent chacun et chacune à se convertir à une relation respectueuse et non pas discriminatoire entre les sexes ».

Regula Strobel estime que ce document donne de bonnes pistes pour la société mais qu’il est contreproductif dans ses incohérences et sa façon d’envisager la création de la femme comme l’auxiliaire de l’homme. « Je me base pour ma part sur le texte de Genèse 1, 26. « Dieu les créa à son image comme homme et femme. Ce qui veut dire que les deux sont images de Dieu, à titre individuel et non pas comme des êtres complémentaires. Ce qui signifie qu’hommes et femmes ont des droits et des devoirs égaux ».

La question qui affecte tout particulièrement Regula Strobel est le rappel très clair de l’exclusion des femmes de la vie ecclésiale et du sacerdoce ministériel. « Il ne suffit pas de souligner le rôle positif des femmes à l’intérieur de l’Eglise comme bonnes croyantes. Au sein de l’Eglise aussi – comme dans la société – les femmes devraient avoir accès à des postes à responsabilités – et pas seulement pour humaniser un peu l’Eglise. Le point de vue de la pasteureIsabelle Graesslé, théologienne et pasteure de l’Eglise protestante de Genève, n’est pas surprise par ce document sur la question des femmes. « Comme s’il y avait une question – pour ne pas dire un problème ! – des femmes ou une question des Juifs, ou des Noirs ou des gays ! Si question il y a, c’est celle du rapport entre hommes et femmes, ce qui fait une grande différence », tient-elle à souligner d’emblée. La ministre genevoise refuse l’accusation faite aux femmes en général et aux féministes en particulier d’inciter à la contestation : « C’est grâce au combat de femmes et d’hommes depuis deux siècles au moins, pour la reconnaissance des femmes en tant que citoyennes, théologiennes, politiciennes etc. que la société a évolué vers plus d’égalité entre les sexes ».

Autre cheval de bataille papal, la famille : Isabelle Graesslé rappelle que le modèle qui a prévalu ces deux derniers siècles est très récent, à l’échelle de l’histoire globale de l’humanité. Des études récentes tendent à montrer que la famille en tant que cellule de base de la société est une façon sophistiquée assez récente de penser et d’assurer l’ordre social. « La famille est appelée à évoluer, à se réformer et ce ne sont pas les appels outrés de quelques théologiens qui l’en empêcheront ». Isabelle Graesslé sent transparaître en filigrane dans ce document le fait qu’il est toujours et encore question de l’homosexualité, la véritable pierre d’achoppement du Vatican. Enfin elle note, concernant la Bible et la lecture qui en est donnée, qu’il s’agit de combats d’arrière-garde, comme s’il n’y avait pas de lecture biblique critique possible. « Chaque individu lit et interprète l’Ecriture en fonction de ce qu’il est : c’est donc forcément toujours une lecture située subjectivement, et qui est forcément différente si l’on se situe du point de vue d’une paysanne paraguayenne sur les hauts plateaux andins ou celui d’un prêtre dans une basilique romaine ».