Une sociologue analyse le métissage des religions et des thérapies «psy »

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Une sociologue analyse le métissage des religions et des thérapies «psy »

15 juin 2004
Alors que le développement personnel mis à la mode dans les années 70 se transforme en quête spirituelle, la sociologue des religions Françoise Champion analyse les entrecroisements contemporains de la religion et du champ psychologique et psychothérapeutique
« La psychologie est la secte du 20e siècle » : sociologue des religions à Paris, Françoise Champion a risqué cette boutade lors de la conférence qu’elle a donnée récemment à l’Université de Lausanne sur « les entrecroisements contemporains de la religion et du champ psy ». Au retrait du religieux institutionnel correspond une poussée de la recherche du bonheur, de l’épanouissement personnel et une quête de sens qui passent par un travail sur soi afin de renouer avec ce que l’on croit être son « moi » profond et originel. On assiste à l’émergence d’une nébuleuse mystico-ésotérique, à des métissages entre religion et thérapies à connotation psychologique. Guérison par l’esprit, programmation neurolinguistique, astrologie, stages de tarot, découverte du chaman en soi, visualisation créatrice, Gestalt thérapie, approche psycho-corporelle (technique pour régresser dans ses vies antérieures) : tout est bon pour accéder à « l’amour de soi, des autres et du Tout Autre » ; on pioche à gauche et à droite pour se tricoter une croyance et vivre « sa spiritualité ». On emprunte au domaine psychologique, à la parapsychologie mais aussi aux religions, alors même qu’on veut sortir du religieux. Les idéologies antireligieuses les plus déclarées se révèlent parfois étonnamment… religieuses. Les slogans laïques, communistes et anticléricaux ont pris parfois des allures de credo…New Age messianiqueTout a commencé dans les années 70 avec ce qu’on a appelé le New Age, la vogue du macrobiotique, de la position du lotus sur les plages de Goa, du cri primal et du lying (approche psycho-corporelle pour régresser dans ses vies antérieures) des techniques du « rebirthing ». La période est messianique : en attendant le nouvel âge spirituel qui devrait arriver avec l’ère du Verseau, on cherche activement à se transformer pour transformer le monde. Surgissent toutes sortes de « petits entrepreneurs psycho -spirituels » parmi lesquels Françoise Champion range le mystique français Arnaud Desjardin qui s’est initié aux religions extrême-orientales et a créé le premier ashram de France.

Le New Age a incontestablement métamorphosé la modernité. Puis à son tour il s’est transformé pour se faire plus pragmatique et individuel. On assiste aujourd’hui à la prégnance des exercices spirituels et de méditation, qui sont, selon Françoise Champion, une réinterprétation de la prière. Chacun est à la recherche d’une nouvelle cohérence pour asseoir sa confiance. « Les recompositions passent par la décomposition de la religion, analyse Françoise Champion, « pour faire du bricolage, on bri-cole, on brise et on colle ». Les religions restent un réservoir de cultures qu’on réutilise et qu’on se réapproprie. Le champ « psy » lui-même glisse vers le spirituel et s’ouvre à l’invisible. Le développement personnel devient quête spirituelle. Est-ce en partie l’influence de l’école jungienne ? Ou bien les adeptes des techniques du New-Age sont-ils insatisfaits ?

La chercheuse française observe une zone de brouillage des frontières qui provoque quelques remous et des remises en question, tant du côté des institutions religieuses que du côté des psychothérapeutes. Chacun cherche à s’adapter aux transformations du monde, à les comprendre. L’Eglise catholique n’échappe pas à cette tendance, qui voit l’émergence d’un mouvement de renouveau charismatique. Les protestants ne sont pas en reste, les mouvements évangéliques fleurissent, les pratiques de guérison spirituelle se multiplient et séduisent de plus en plus de monde. Même les Eglises traditionnelles s’ouvrent à des célébrations de guérison, se préoccupent plus du mal-vivre individuel, réinventent des rites visant à l’apaisement de l’âme, à accompagner les différents passages de la vie et renouent avec la mystique.